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Chapitre d’ouvrage

Etat, gouvernement, démocratie: approfondissement d’une relation, réinvention d’une institution/ Temps de l’Etat, temps des hommes: l’Etat redevable des événements du passé

Par Christian Galloy, François Ponchaud

Ouvrage(s) : Chroniques de la gouvernance 2007

Table des matières

Comme l’observait Alexis de Tocqueville dans De la Démocratie en Amérique, il n’est pas de société politique qui ne doive sa cohésion à l’existence d’un certain nombre de croyances dogmatiques, c’est-à-dire de représentations communes et indiscutables sur les modalités du vivre ensemble : « pour qu’il y ait société, et à plus forte raison pour que cette société prospère, il faut […] que tous les esprits des citoyens soient tenus ensemble par quelques idées principales ». Dans la dimension holiste du contrat social que l’on voit ici se profiler, la survie de la communauté politique impose à l’individu une certaine part de servitude de l’esprit. L’acceptation sans discussion d’une mémoire officielle serait donc au cœur du processus de socialisation politique. Dans les sociétés qu’a déchirées la guerre civile, la réconciliation des bourreaux et des victimes passe souvent par l’amnistie, l’oubli ou le pardon. On observe à l’échelle internationale des procédés comparables, qui permettent aux anciens belligérants de renouer des relations diplomatiques minimales. Mais peut-on parler d’un ordre politique légitime quand le bricolage de la mémoire officielle fait taire les voix de ceux qui n’ont pas obtenu réparation et qui réclament justice ? Pourtant, peut-on sans danger mettre en débat les consensus fragiles et les non-dits sur lesquels se fondent bien des sociétés ? Jusqu’à quel point l’État – mais qui est l’État ? – doit-il s’excuser pour les événements du passé ? Un système de gouvernance véritablement démocratique peut-il se fonder sur un optimum, désirable pour le groupe mais injuste pour certains ? L’ordre juste incarné par l’État ne serait- il en dernière analyse que pure représentation ? Les exemples cambodgien et espagnol ici retenus viennent illustrer toute la complexité de l’articulation entre le temps de l’État, le temps de la justice et le temps des hommes. Dans un contexte où l’existence de justice est de plus en plus forte, ces exemples nous amènent à questionner la possibilité d’un État redevable de tout, dans tous les domaines.