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Partie 1.3 - Sources de légitimité du pouvoir / L’héritage des luttes de libération, obstacle à la démocratie?

Por Mutandiri Mundjozi

Libro : Parcours international de débat et propositions sur la gouvernance, International Meeting Process for debate and proposals on governance

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L’épisode du colonialisme en Afrique s’est clos en 1994, lorsque le régime d’apartheid a été démantelé et que lui a succédé au pouvoir un régime sud-africain démocratiquement élu et reconnu par le droit international. Il s’agissait là, à n’en pas douter, d’une étape nécessaire accomplie par les mouvements de libération. Nécessaire, disons-nous, car il ne pouvait y avoir de démocratie sous un régime colonial. Par nature, le colonialisme suppose en effet la subjugation, l’oppression, l’injustice et la discrimination raciale. Aussi ne pouvait-il être donné à aucun État fondé sur de tels présupposés de s’orienter vers la démocratie. En renversant ces régimes coloniaux, les mouvements de libération nationale ont dû faire face au défi consistant à substituer à une structure militaire une structure sociale et civique. Mais ils se sont également trouvés confrontés, tout comme leurs homologues d’Afrique du Nord, à cet autre défi consistant à se transformer eux-mêmes en partis politiques capables de présider aux destinées d’un État. De partis militairement organisés, il leur fallait devenir des partis à caractère civil, des organisations sociales.

Pour analyser comment, en Afrique australe, les mouvements de libération ont puisé dans le souvenir de lutte anticoloniale leur légitimité à exercer le pouvoir, il faut tout d’abord rappeler que cette lutte avait deux objectifs principaux : la « déracialisation » et le droit à l’autodétermination. Dans son ouvrage en forme de manifeste {Les Damnés de la Terre}, Franz Fanon a bien perçu cela, qui explique :

« Ils mobilisent le peuple sur le mot d’ordre d’indépendance et pour le reste s’en remettent à l’avenir. Quand on interroge ces partis sur le programme économique de l’État qu’ils revendiquent, sur le régime qu’ils se proposent d’instaurer, ils se montrent incapables de répondre parce que précisément ils sont totalement ignorants à l’égard de l’économie de leur propre pays. Cette économie s’est toujours développée en dehors d’eux ».

Dans l’euphorie de l’indépendance, les gens ne prêtent guère attention à ce que l’avenir leur réserve. L’exaltation aveugle tout un chacun. Quant aux idéaux des luttes de libération énoncés dans les manifestes des partis politiques (souvent rédigés, du reste, par un individu qui se trouvait lui-même en exil à l’étranger durant la lutte), il leur manque les outils qui leur permettraient de devenir réalité. Les héros de la Libération, eux, arguent de façon bien compréhensible que l’essentiel à ce stade est la conquête du pouvoir et qu’il sera bien temps ensuite de s’occuper du reste.

S’ouvre alors, pour en revenir à l’Afrique australe, ce que Franz Fanon appelle « la prise du pouvoir par une bourgeoisie sous-développée ». L’ennui c’est que ces « élites » nouvelles ne comptent dans leurs rangs aucun financier ou industriel, mais seulement des gens occupés dans des activités intermédiaires, des gens qui sont « dans le circuit », « dans la combine ». Ils n’ont pas la moindre idée sur la façon d’exercer le pouvoir ni sur l’orientation économique qu’il convient de donner au pays.

Notons que les célébrations de l’indépendance sont fréquemment émaillées de slogans du type « Nous sommes tous égaux ». Mais en réalité la nation est priée de se rassembler autour du thème « nous vous avons libérés ». Nous croyons que ce qui se produit dans les premiers temps de l’indépendance est d’une importance déterminante pour l’avenir du pays. Classiquement, on constate, dès ces premières années, des entreprises en vue de donner naissance à de véritables héros, presque des dieux, qu’ensuite il deviendra impossible de contester eu égard aux sacrifices consentis par eux pour libérer le pays. C’est au cours de cette première phase que sont établis les fondements de la légitimité du pouvoir. Ce schéma s’applique effectivement à plusieurs pays de la région.

Les premières années de l’indépendance, ou comment hériter d’un État

Revenir aux premières années durant lesquelles les mouvements de libération nationale ont exercé le pouvoir peut nous permettre de comprendre comment s’est construite une véritable hégémonie capable de protéger, dans un premier temps, ledit pouvoir, mais appelée à s’effondrer le jour où le peuple s’aperçoit qu’il n’est pas véritablement indépendant. Une libération sans liberté ni démocratie, notait tel observateur, n’est pas à proprement parler une libération.

Les mouvements de libération s’étant dotés d’une structure militaire aux fins de combattre les injustices sociales se sont trouvés, nous l’avons dit, confrontés au défi de se reconvertir en organisations sociales. Mais ce moment coïncide précisément avec celui où ils héritent d’un État dont ils ne contrôlent pas la base. Pour le dire autrement, il leur faut se gagner un soutien populaire. Pour consolider leur assise et hâter la transformation du pays, ils sont alors tentés de mettre à profit leur appareil militaire. Et, ce faisant, ils ont nécessairement recours à la violence. C’est la raison pour laquelle on assiste, dans la plupart des pays concernés, au développement d’une violence exercée avec l’assentiment de l’État. Au Zimbabwe, cette violence fut le fait des brigades de jeunesse ou de la cinquième brigade, cette dernière responsable de graves exactions au Matabeleland et dans les provinces du centre du pays. Ce fut également le cas en Afrique du Sud qui, outre les attentats contre les infrastructures ferroviaires, connut diverses formes de violences dont la société sud-africaine reste imprégnée aujourd’hui encore.

À l’image de ce qui s’est produit ailleurs en Afrique après la conquête du pouvoir, le premier et plus pressant défi fut de trouver une idéologie propre à résoudre les problèmes de justice sociale. Dans le cas de l’Afrique australe, les mouvements de libération nationale ont le plus souvent opté, qui pour le communisme, qui pour le socialisme, et qui encore pour ce qu’on a appelé la démocratie sociale. Au Zimbabwe, le nouveau pouvoir s’est réclamé du communisme, tout en insistant préférentiellement, non sur l’industrialisation, mais sur la nécessité d’améliorer certains services essentiels comme l’éducation ou les hôpitaux.

Il ne fallut pas longtemps pour que la nouvelle élite issue « du circuit et de la combine » accapare à son profit l’ensemble des opportunités économiques et réclame la nationalisation des industries, non pour le bien du peuple mais pour servir ses intérêts personnels. Pour les camarades des mouvements de libération, le nationalisme exigeait que la propriété fût transférée à des Noirs et que ceux-ci confisquent à l’élite coloniale l’ensemble de ses possessions. Et cette nouvelle élite des camarades de déménager vers les quartiers huppés de Sandton et de Borrowdale pour y côtoyer l’élite du régime colonial déchu.

La conception qu’ont ces nouveaux partis du jeu politique illustre par ailleurs leur myopie démocratique ainsi que leur propension à une forme de néo-patrimonialisme. Dès cette première phase se manifestent en effet des signes d’intolérance à l’égard des opinions divergentes. Toute voix divergente est brocardée comme étant celle de l’ennemi. Partout, excepté en Afrique du Sud, l’opposition est malmenée. Au Zimbabwe, l’histoire retiendra la férocité avec laquelle le pouvoir a traité la question de l’Union Populaire Africaine du Zimbabwe (ZAPU), cette violence culminant entre les années 1983 et 1987 au cours des évènements connus sous le nom de « massacres de Gukurahundi ». Et le gouvernement d’union nationale formé pour mettre un terme à ces affrontements n’a lui-même pas survécu au limogeage de Josiah Chinamano et Joshua Nkomo.

Il est clair que le « patriotisme » tel qu’on l’entend à cette époque ne tolère guère l’existence d’une opposition. En Zambie comme au Zimbabwe, un régime de parti unique a rapidement été mis en place après l’indépendance. Les arguments mis en avant pour justifier cet état de fait ne manquent d’ailleurs pas d’intérêt. Robert Mugabe, par exemple, excipait : « Etant seul peuple, pourquoi avoir plusieurs partis politiques ? Pourquoi nous diviser inutilement ? ». C’est suffisant pour dire quelle conception ces libérateurs avaient de la démocratie. À leurs yeux, une fois la domination coloniale terminée, chacun doit considérer sa tâche achevée. Les militants notamment, considérés comme des « vétérans de guerre », sont appelés à redevenir des citoyens ordinaires.

Leur mission terminée, ils sont seulement priés de participer à certains évènements, en particulier les célébrations de l’indépendance, destinés à rappeler à tous combien les dirigeants sont populaires et combien ils jouissent du soutien de la base.

Les premiers temps de l’indépendance sont ainsi ceux de l’autocratie et de la dispensation de faveurs matérielles et sociales en fonction de l’appartenance politique. L’inclination à l’enrichissement personnel dont fait montre la classe politique, aidée en cela par l’existence d’un capitalisme prébendier, se double d’une volonté de contrôle destinée à assurer son maintien au pouvoir. Et, naturellement, l’intérêt général n’admet de définition que celle que cette même classe politique lui donne. Enfin, groupes et individus participent ou non aux affaires publiques à la seule discrétion des gouvernants. Il va de soi qu’un pouvoir exercé ou conservé selon de tels mécanismes n’a que peu à voir avec la démocratie, mais bien plutôt avec une sorte de bunkérisation de l’autorité.

Les régimes nouvellement constitués se caractérisent également par une forte personnalisation du pouvoir. On constate en effet une tendance de chaque parti à s’incarner dans un homme unique (Robert Mugabe dans le cas du Zimbabwe, Sam Nujoma pour la Namibie, Joachim Chissano pour le Mozambique, et ainsi de suite), s’accompagnant par ailleurs d’une méconnaissance des préceptes de bonne gouvernance ainsi que d’une concentration des structures de contrôle et de commandement. Cette situation se retrouve dans la plupart des pays concernés, qui voient le chef de l’État occuper la direction de toutes les institutions, de chef des armées à recteur de chacune des universités du pays. Ces caractéristiques des régimes mis en place sont autant de facteurs favorisant leur instabilité politique intérieure, comme le démontrent ou l’ont démontré par le passé les cas du Zimbabwe, de la Zambie et du Malawi.

Il est également à noter que, dans ces premiers moments supposés être ceux de l’établissement d’une démocratie, les organisations précisément chargées d’y veiller apparaissent manquer elles-mêmes à leur rôle de surveillance, prises qu’elles sont dans l’exaltation générale. La popularité dont jouissent alors les mouvements de libération est telle que ceux-ci s’allient naturellement aux organisations syndicales et estudiantines. La société civile, à ce stade, n’est pas en position critique vis-à-vis des autorités nouvelles. Il est vrai qu’alors, chacun pense que les bienfaits de l’indépendance ne peuvent être atteints du jour au lendemain. Chacun semble convenir implicitement qu’il faut laisser du temps aux mouvements de libération et, en conséquence, appelle à la patience. Il en va évidemment tout différemment dix ou vingt ans après l’indépendance, et les mécontentements se font alors entendre plus fortement. Les partenaires prennent leurs anciens alliés en suspicion, les étudiants expriment leurs revendications et les manifestations d’opposition au pouvoir deviennent monnaie courante. Seulement, notons qu’une fois les choses parvenues à ce stade, l’État est déjà endetté au maximum de ses capacités, tandis que ses créanciers (FMI, Banque mondiale) commencent à exiger le remboursement des prêts consentis.

La transformation d’organisations militaires en partis politiques

Comme souligné précédemment, l’un des principaux défis qui se posent aux mouvements de libération est de parvenir à se transformer d’organisation militaire en organisation à caractère civil. S’agissant de structures qui, avant l’indépendance, étaient organisées en vue d’une action violente, tout le problème est de parvenir à assurer la discipline interne sans compromettre la conversion de l’organisation en parti politique. Les querelles et dissensions internes au parti peuvent menacer les titulaires du pouvoir qui, en retour, sont alors tentés de recourir à des moyens militaires pour contrôler le parti. S’ensuit l’instauration d’une relation étroite entre les gouvernants, l’armée et les différents services de sécurité, dont les chefs galonnés sont choisis parmi les poids lourds du parti, ceux-là mêmes qui, ensuite, accaparent les biens économiques sous couvert de « l’affirmation noire » (black empowerment). Protéger le parti équivaut alors à protéger l’État, tant, à ce stade, l’un et l’autre se confondent. Personne, d’ailleurs, ne semble encore s’émouvoir de ce dévoiement des institutions et de l’inaptitude des hauts fonctionnaires et des hauts gradés à distinguer clairement ce qui relève de l’État, du gouvernement et du parti. Il n’est alors surprenant pour personne qu’un représentant de l’État puisse faire montre d’un discours militant. Et lorsque commence à se poser la question du renouvellement des instances dirigeantes du parti, il apparaît très nettement que personne n’est à même d’en prendre la tête, sauf à déjà exercer le pouvoir et à bénéficier du soutien des militaires. Dans ces conditions, les batailles pour le pouvoir menacent directement la stabilité du parti et, s’ajoutant au processus de consolidation du nouveau régime précédemment évoqué, sont annonciatrices de règlements de compte féroces.

Par ailleurs, on ne peut pas ne pas mentionner combien la corruption est endémique au sein du parti et de l’État. Les dirigeants du parti, cumulant leur fonction avec celle de hauts fonctionnaires de l’État, profitent de leur position pour vider les caisses de celui-ci. Et le produit de ce pillage sert moins souvent à créer des entreprises qu’à financer leurs extravagances en matière de femmes ou de boisson. En Afrique du Sud, on a vu la face visible de l’iceberg avec le scandale des contrats d’armement. Au Zimbabwe, les scandales furent également nombreux, notamment celui du Willogate [à l’origine une rétro-commission impliquant la succursale locale du constructeur automobile Mazda et qui a abouti en 1989 au limogeage de cinq membres du gouvernement dont un s’est ensuite suicidé]. Mais au final, il n’est pas un des pays considérés qui n’ait connu d’affaires de corruption impliquant jusqu’aux plus hautes sphères de l’État.

Dès cette époque inaugurale, cependant, les stratèges des partis au pouvoir ont sûrement pris conscience que leur hégémonie pouvait être remise en cause et que rien ne pouvait empêcher les turbulences menaçant le parti et l’État. C’est d’ailleurs l’époque où l’on voit apparaître les premiers amendements constitutionnels destinés à prolonger le mandat des chefs d’État. Du reste, les partis concernés ne prévoient eux-mêmes généralement aucune limite au nombre des mandats pouvant être accomplis.

L’héritage de la Libération : principal argument de campagne

Au Zimbabwe comme dans d’autres pays africains, l’hégémonie construite dans les premières années de l’indépendance s’est progressivement fissurée lorsque les masses ont compris que leurs espérances initiales étaient autant de mirages. Du fait de l’incurie économique des camarades libérateurs, la croissance n’a pas été telle que la population pouvait l’espérer. Est alors venu le temps du chômage endémique, des services publics déficients, de l’inflation galopante, de la vie chère et, plus généralement, d’un traitement des questions sociales ne correspondant pas aux attentes de la population.

Il devient évident aux yeux de tous que rien ne va plus, que les choses commencent à se déliter. Les partis au pouvoir changent alors de discours. Les termes « traîtres », « ennemis » ou « impérialistes », que l’on avait plus entendus depuis l’indépendance, font leur retour. Et le gouvernement de se peindre comme assailli par les ennemis de l’émancipation noire.

Cette rhétorique indigne rapidement les mouvements syndicaux, les organisations étudiantes et, très vite, la population elle-même qui manifeste sa désapprobation quant à la manière dont le pays évolue. Des erreurs passées reviennent en mémoire. Le bien-fondé des politiques économiques est plus ouvertement remis en question. La société civile, les syndicats, d’autres groupements encore se réorganisent et s’enhardissent à poser aux autorités les questions qui fâchent. Transparence et redevabilité sont désormais exigées d’elles comme jamais auparavant. Les questions de participation aux affaires publiques, de respect des droits de l’Homme, de conformation aux valeurs démocratiques et d’amélioration des salaires constituent le noyau dur autour duquel se retrouvent syndicats et organisations de la société civile, toutes choses qui ont alors depuis beau temps disparu du vocabulaire des élites dirigeantes. Celles-ci, en retour, sont contraintes de prendre des mesures drastiques pour réduire les critiques au silence.

De là, les partis d’opposition se mettent à gagner en popularité, notamment auprès d’une jeunesse mécontente. Les élections deviennent subitement de véritables évènements nationaux, les électeurs expriment un authentique désir de participation, les campagnes électorales se transforment en quelque chose de sérieux. Les mouvements de libération nationale développent des campagnes arc-boutées sur les idéaux de la lutte pour l’indépendance et, en sens inverse, dépeignent les partis d’opposition comme les larbins du colonialisme, voire comme des officines œuvrant au rétablissement de celui-ci. Leurs campagnes ont pour unique message de rappeler aux masses par qui et comment elles ont été libérées. Et l’on parle finalement assez peu du développement du pays.

 

 

S’accroît par ailleurs tous les jours le mécontentement des camarades libérateurs qui piaffent de prendre la place des dirigeants en place. Ceux qui, las d’attendre, font défection sont alors étiquetés comme traîtres, sans égard pour les sacrifices qu’ils ont pu faire durant la lutte pour l’indépendance. La population se voit rappeler qu’elle doit sa libération du joug colonial au seul parti et qu’en conséquence, sa loyauté, elle aussi, ne doit aller qu’à ce dernier. Par rapport à l’impératif consistant à « défendre notre indépendance et notre souveraineté », les difficultés économiques sont balayées comme un sujet d’importance secondaire.

Les mouvements de libération d’Afrique australe ont été particulièrement prompts à appeler de leurs vœux des solutions africaines aux problèmes de l’Afrique. Ce qui ne les empêche pas d’être non moins prompts à jeter le discrédit sur tel camarade africain qui aurait le front de s’opposer à eux. Le gouvernement du Zimbabwe, par exemple, n’a pas ménagé ses efforts pour éreinter le président zambien Levy Mwanawasa, après que ce dernier eut comparé le Zimbabwe au « Titanic en train de sombrer ». Cette idée de solutions africaines aux problèmes africains a par ailleurs inspiré la création du Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (NEPAD), dont l’objectif principal est le développement durable et qui met l’accent, comme conditions pour y parvenir, sur les questions de sécurité, de maintien de la paix et de promotion des valeurs démocratiques. Dans le cadre de ce programme, un système dit de « Mécanisme africain d’évaluation par les pairs » a été mis en place aux fins de mesurer l’avancement de chaque pays dans la réalisation des objectifs du NEPAD. Parmi les pays membres de la Communauté de Développement de l’Afrique Australe (SADC), on note toutefois que seuls l’Afrique du Sud, le Lesotho et le Mozambique se sont portés volontaires pour participer à ce mécanisme.

Pronostics sur l’avenir

Franz Fanon souligne que « le gouvernement national, s’il veut être national, doit gouverner par le peuple et pour le peuple, pour les déshérités et par les déshérités », tout en prenant soin d’ajouter qu’ « aucun leader, quelle que soit sa valeur, ne peut se substituer à la volonté populaire […] ». Aujourd’hui encore, le défi est de faire progresser la société vers plus de justice, d’égalité et d’humanité. La situation politique de l’Afrique australe semble amorcer un virage dont il convient de profiter pour mettre l’accent sur ces questions. On ne saurait par ailleurs trop souligner combien il est important que s’emparent de ces questions tous les citoyens, y compris les plus humbles.

Nous souhaiterions par ailleurs souligner à quel point l’Afrique australe nous semble aujourd’hui parvenue à un moment décisif de son évolution politique. La crise qui secoue le Zimbabwe, si les dirigeants de la SADC ne parviennent à la gérer convenablement, menace en effet de déstabiliser l’ensemble de la région. Il s’agit là, à notre sens, d’un véritable test : combien de temps encore ces leaders accepteront-ils de soutenir ceux qui, comme eux, sont issus de mouvements de libération, et cependant ne jouissent manifestement plus de la confiance de leur peuple ?

La valeur des élections comme source de légitimité est, elle aussi, mise à l’épreuve dans cette partie de l’Afrique. Les élections ont-elles vocation à avaliser le maintien au pouvoir des mouvements de libération ? Et à supposer que ces derniers ne remportent pas les élections, seront-ils disposés à abandonner le pouvoir ? À ces questions, le face à face pour l’élection présidentielle au Zimbabwe apporte d’ores et déjà certaines réponses. Dans ces conditions, peut-on dire que la région s’est rapprochée des normes démocratiques internationalement reconnues ? Que feront les pays voisins s’il apparaît qu’une élection a été manipulée ? De la réponse à ces questions dépendra grandement la direction que prendra l’Afrique australe après le 27 juin 2007 [date du second tour].

Les pays de la région, en revanche, n’ont pas jusqu’à présent connu de coup d’État, et il n’est pas certains qu’il pourraient s’accommoder d’un tel mode de conquête du pouvoir. Mais si cela devait se produire, que feraient les pays en question ? L’avenir n’est pas rose qui, selon nombre d’observateurs, verra prochainement le premier coup d’État en Afrique australe se produire au Zimbabwe.

Nous persistons cependant à penser qu’une fois l’indépendance acquise, il ne doit y avoir d’autre légitimité que celle qui résulte d’une élection. Nous croyons également en la nécessité d’un cadre électoral adapté aux populations et de nature à garantir la régularité et la liberté du scrutin. Cela ne peut se faire, là encore, qu’à la condition qu’il existe une Constitution démocratique et soucieuse du peuple, un document capable de refléter tout ensemble l’histoire, les aspirations et les conceptions propres à une nation donnée. Cela signifie également, par conséquent, que le plus important en matière de légitimité est de s’assurer que les pays concernés disposent d’autre chose que d’un document juridique appelé Constitution. Il faut que dans la légalité d’un tel document réside aussi sa légitimité. Il faut, en d’autres termes, que le peuple considère la Constitution comme sienne dans la mesure où ses dispositions renvoient, comme en écho, à ses valeurs morales. On ne pourra, pour y parvenir, faire l’économie d’une politique authentiquement tournée vers le développement. Mais pour apporter quoi de plus au peuple, pourra-t-on objecter ? Essentiellement pour que les partis politiques donnent aux gens les moyens de leur émancipation, ainsi que la capacité de subvenir à leurs besoins indépendamment de l’État. Cela, à n’en pas douter, ne fera pas peu pour la légitimité du pouvoir.

Recommandations

La conviction qui sous-tend notre propos est que cette question de la légitimité du pouvoir ne peut trouver de réponse sans donner aux mouvements de jeunesse, aux organisations de défense des droits des femmes et à la société civile plus largement, les moyens d’accomplir leur mission au bénéfice des citoyens. Cela passe par une éducation à l’émancipation et à la démocratie de tous les citoyens, notamment dans nos écoles et nos universités. Nous ne pouvons également que souhaiter que les mouvements de libération débattent et s’investissent sur ces questions. Enfin, nous ne pouvons qu’appeler de nos vœux un renforcement des organes régionaux, SADC et Union Africaine en premier lieu, de sorte que ces organismes ne soient plus simplement des enceintes de discussion mais acquièrent les moyens de répondre concrètement aux problèmes qui touchent les pays membres. Nous attendons avec impatience le jour où ces organismes seront en position de demander des explications à tel ou tel de leurs membres et, en cas de manquement aux principes qu’ils ont édictés, prendront les mesures qui s’imposent.