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Análisis

Procédures et dispositifs du dialogue entre les organisations de la société civile et la Commission Européenne

La consultation dans le cadre des politiques européennes de coopération au développement : De la reconnaissance politique à la pratique sur le terrain

Por Maxime Montagner

febrero 2006

Afin de dialoguer avec les Organisations Non Gouvernementales européennes de coopération au développement et avec les Acteurs Non Etatiques1 issus des pays du Sud, la Commission européenne a mis en place des procédures juridiques et des dispositifs politiques particuliers. Si ces instruments sont reconnus sur le « papier » , leurs mises en œuvre sur le terrain se révèlent parfois problématiques.

Contenido

Depuis 1976, la Commission européenne travaille avec les principales ONG européennes de coopération au développement en finançant ces organisations sur la base des projets qu’elles exécutent dans les pays du Sud. Les ONG sont reconnues comme des partenaires dans la mise en œuvre des politiques de développement en agissant en tant que « sous-traitant » de la Commission européenne. En effet, ces organisations sont compétentes et détiennent un certain avantage comparatif pour exécuter des projets de développement local. Elles travaillent dans de nombreux secteurs parmi lesquels le développement rural, la micro finance et l’accès aux services de base ( santé, éducation, induction d’eau…).

Conformément aux discours liés à la gouvernance, ces organisations sont également envisagées par la Commission européenne comme des partenaires dans le dialogue politique ayant vocation à participer aux processus de prise de décision politique à Bruxelles. De plus, avec l’Accord de Cotonou2 et la reconnaissance des Acteurs Non Etatiques (ANE) des Etats du Sud, les Délégations de la Commission européenne dans les Etats tiers sont tenues de consulter les organisations de la société civile de ces pays. Selon la Commission européenne, la participation des Acteurs Non Etatiques à la prise de décision permettrait d’améliorer l’impact des politiques de développement puisque que ces acteurs sont censés connaître, davantage que les gouvernements des Etats tiers, les besoins et les revendications des populations pauvres ainsi que les mécanismes permettant un véritable développement endogène.

Afin de reconnaître les ONG et les ANE comme des acteurs à part entière des politiques européennes de développement, la Commission a mis en place des procédures juridiques et des dispositifs politiques visant à recueillir les revendications de ces organisations. Par l’intermédiaire de différents instruments, la Commission a favorisé la création d’ « espaces de consultation » ou de « fenêtres d’opportunité politique » situés sur deux niveaux de prise de décision politique : le niveau européen à Bruxelles et le niveau national des Etats tiers . En effet, les ONG européennes sont consultées à Bruxelles par les services centraux de la Commission tandis que les Acteurs Non Etatiques issus des Etats tiers ont vocation à être écoutés par les Délégations de la Commission européenne situées dans les capitales des Etats du Sud.

Par quels moyens la Commission européenne consulte les principales ONG européennes de développement ? Comment peut-on caractériser les relations entre les administrateurs européens et les représentants du secteur non gouvernemental à Bruxelles ? Quels sont les difficultés inhérentes à ce partenariat ? De même, dans quelles mesures les Acteurs Non Etatiques des Etats ACP sont effectivement consultés par les Délégations de la Commission ? Comment peut-on s’assurer que les instruments de consultation introduits par l’Accord de Cotonou soient effectivement mis en œuvre par les fonctionnaires expatriés sur le terrain ?

Afin de répondre à l’ensemble de ces questions, nous aborderons tout d’abord l’espace européen en envisageant les processus de consultation à l’œuvre entre la Commission et les ONG européennes de développement à Bruxelles. Ensuite, nous nous intéresserons au dialogue entre les Acteurs Non Etatiques du Sud et les Délégations de la Commission européenne dans les Etats ACP.

La place des ONG européennes de développement dans le policy-making européen :

Dans la majorité des documents de la Commission européenne, l’accent est mis sur la participation des organisations de la société civile dans les processus de prise de décision politique interne à la Commission. A en croire ces documents ainsi que les fonctionnaires européens chargés d’expliquer les politiques européennes aux citoyens et aux organisations partenaires, la Commission serait une institution modèle en terme de dialogue et de consultation des acteurs non gouvernementaux. Les politiques européennes ne seraient pas issues d’un processus top-down mais seraient au contraire élaborées de façon bottom-up, c’est-à-dire en regroupant les intérêts et les préférences de l’ensemble des acteurs concernés par l’action de la Commission dans le domaine de la coopération au développement.

Sur le papier : le processus de consultation mis en place à Bruxelles par la Commission Européenne

A travers un ensemble de communications, de documents de travail et de codes de conduites, la Direction Générale Développement de la Commission européenne a élaboré des outils visant à entretenir un dialogue régulier avec les ONG européennes de développement. Pour les services de la Commission, les ONG sont reconnues comme des groupes d’intérêt ou des groupes d’influence, c’est-à-dire comme des « organismes de défense d’intérêts qui agissent sur les pouvoirs publics pour infléchir leurs décisions dans un sens favorable à leurs intérêts sans chercher à exercer le pouvoir. [Ils] peuvent agir de façon très diverse, allant de l’appel à l’opinion publique jusqu’à l’action directe sur des personnalités politiques influentes. »3

En vertu de la promotion des principes d’ouverture et de participation4 , la Commission européenne organise des échanges avec ces groupes d’intérêts. Concrètement, l’institution européenne invite régulièrement les ONG européennes de développement au sein de groupes consultatifs ou de groupes d’experts réunis autour de problématiques particulières. De même, elle organise des auditions publiques auxquelles sont invitées les organisations partenaires. Enfin, la Commission a mis en place en 2001 une base de données appelée CONECCS. Cet outil vise à rationaliser les relations entre les administrateurs de la Commission et les organisations de la société civile. Pour les ONG, l’inscription sur cette base à travers Internet est un préalable à tout contact postérieur et équivaut à une reconnaissance officielle de la part de la Commission.

Malgré ces quelques initiatives, il est à noter que, contrairement aux modalités du dialogue social5 , le dialogue entre la Commission et les ONG européennes de développement n’est pas institutionnalisé. La non institutionnalisation implique que les procédures qui régissent les relations entre les ONG et la Commission ne sont pas encadrées par des règlements et des dispositifs juridiquement contraignants. De fait, rien n’oblige la Commission à consulter de manière systématique les ONG. L’institution organise donc des phases de consultation de manière discrétionnaire.

Dans la pratique, des phases de consultation sont habituellement ouvertes en amont de la publication des documents d’orientation politique ( les livres verts, les livres blancs ou les autres communications de la Commission). Ces « fenêtres d’opportunité politiques » se concrétisent par des mécanismes de collecte de réaction et d’information sur les politiques préparées. La Commission utilise abondamment son site Internet à travers duquel elle recueille les contributions des acteurs non gouvernementaux concernés. Elle peut également décider de l’instauration d’un comité consultatif et en fixer les règles (mission, composition, durée, nomination, mandat…). Les rencontres entre représentants des ONG et administrateurs de la Commission se déroulent généralement au sein même de l’institution bien que les ONG invitent parfois des fonctionnaires dans leurs locaux. De manière générale, les ordres du jour de ces rencontres portent sur l’échange d’information, le débat d’idée autour d’une question d’actualité ou encore la définition de principes régissant le dialogue entre les deux groupes d’acteurs.

Si la Commission postule a priori l’égalité de traitement et d’accès pour tous les types d’organisations, elle préfère nettement s’entretenir avec les réseaux d’ONG établis au niveau européen. Pour cette raison, les relations entre l’institution européenne et les ONG passent quasi-exclusivement par l’intermédiaire de Concord, la Confédération européenne des ONG de développement..

Ce « réseau de réseau » créé en 2003 regroupe des familles d’ONG réunies autour d’une problématique précise ainsi que des réseaux nationaux d’ONG. Basée à Bruxelles, Concord est essentiellement vouée au plaidoyer politique auprès des institutions. Le réseau bénéficie d’un financement européen à hauteur de 70% de son budget et sa création est due à une volonté commune des plateformes nationales et de la Commission. Cette organisation constitue la strate organisationnelle la plus proche des institutions européennes et est reconnue par la Commission comme l’entité la plus légitime pour représenter les intérêts des ONG de développement au niveau européen. Cette position favorable permet aux représentants de la confédération de rencontrer fréquemment les responsables politiques de la Commission. Concord peut ainsi être considérée comme un espace public de structuration des intérêts au sein duquel les différents réseaux thématiques et plateformes nationales se concertent et se rencontrent afin d’élaborer des positions communes.

Dans la pratique : des relations souvent conflictuelles

Si des phases de consultation permettent effectivement aux ONG de faire connaître leurs opinions aux fonctionnaires en charge des politiques de développement, celles-ci ne se déroulent pas toujours de manière satisfaisante. En effet, la majorité des représentants du monde associatif déplore le manque d’efficacité des processus consultatifs mis en place par la Commission. Bien qu’ils aient le mérite d’exister, ces processus ne permettraient pas un véritable dialogue entre les deux groupes d’acteurs. Il est évident que nous ne pouvons pas aborder ici l’ensemble des problèmes relationnels entre la Commission et les réseaux d’ONG. Il s’agit uniquement de retranscrire quelques difficultés soulevées par les représentants du secteur associatif. Une étude plus complète ferait également apparaître l’avis des administrateurs de la Commission en charge des relations avec la société civile.

Les critiques des représentants d’ONG les plus récurrentes concernent l’inadaptation des procédures de consultation mises en place par la Commission. A titre d’exemple, nous pouvons aborder le processus consultatif qui s’est déroulé en amont de la réforme des principaux instruments financiers de la coopération au développement dans le cadre des perspectives financières 2007/2013. Au début de l’année 2005, la Commission a laissé moins de deux mois au secteur associatif pour s’exprimer au sujet d’une réforme capitale concernant le financement des ONG. Les organisations concernées pouvaient adresser leurs contributions à travers Internet et grâce à quelques rencontres informelles avec les administrateurs européens. Pour les réseaux d’ONG, ce délai n’aurait pas permis une effective consultation puisque les réseaux n’auraient pas disposé du temps nécessaire à l’organisation des réunions internes indispensables à un consensus politique (et donc à une position commune) entre leurs différents membres. D’une manière générale, les « cadres de concertation » imposés par la Commission ( les délais mais également les procédures, la nature de la consultation et le type de questions posées..) ne permettraient pas un dialogue efficace avec le secteur non gouvernemental.

D’autre part, les ONG dénoncent la place de la phase de consultation dans le processus de prise de décision. Selon les responsables associatifs, la consultation a lieu alors que la majorité des acteurs institutionnels ont déjà donné leurs avis sur la problématique à traiter. Pour les réseaux d’ONG, il serait quasi impossible d’avoir une influence concrète sur les tractations interinstitutionnelles. La consultation ne permettrait pas une réelle convergence des intérêts des ONG avec les orientations de la Commission mais constituerait plutôt une œuvre de légitimation a posteriori des politiques européennes. Si l’institution peut influencer le secteur associatif en le finançant, les principaux réseaux d’ONG ne disposent pas toujours des ressources suffisantes afin de peser réellement sur le processus de prise de décision. La Commission reste donc l’acteur dominant de la phase de consultation.

Enfin, les représentants associatifs se plaignent du manque de disponibilité des fonctionnaires européens ainsi que leurs mutations et leurs rotations permanentes entre les différents services de la Commission. Les professionnels du lobbying associatif doivent sans cesse recréer leurs contacts dans un environnement où les changements d’organigrammes sont très fréquents. Il leur est difficile de savoir « qui fait quoi » au sein de la Commission : la cible politique de leur lobbying ne cesse de changer au grès des réformes internes. Les relations interpersonnelles entre les administrateurs européens et les professionnels du plaidoyer associatif sont difficiles à maintenir.

Ces quelques exemples permettent de nous rendre compte des limites des processus de consultation à l’échelle européenne. Bien que les documents de communication de la Commission abordent souvent les ONG européennes comme des partenaires dans le dialogue, dans la pratique, les relations entre les deux groupes d’acteurs connaissent de nombreuses faiblesses. Pourtant, les administrateurs européens et les représentants des principales ONG européennes appartiennent à la même « sphère socioculturelle » ce qui devrait faciliter leurs contacts.

L’Accord de Cotonou entre participation et rhétorique6 :

Alors que la Commission européenne entretenait uniquement des relations avec les ONG européennes, l’Accord de Cotonou a introduit de nombreuses possibilités de dialogue et de financement à destination des ANE des pays ACP. Nous quittons ici la politique de « Bruxelles » pour évoquer les processus de gouvernance à l’œuvre à l’échelle d’un Etat ACP : les relations entre la Délégation de la Commission Européenne (DCE) située dans la capitale de l’Etat ACP, les autorités de cet Etat ainsi que les organisations de la société civile de ce même pays. Il est important de détailler de manière exhaustive les procédures de consultation offertes par l’Accord de Cotonou afin de comparer les possibilités offertes par le texte, le droit (le discours institutionnel) et les réalités observées sur le terrain, au niveau des Délégations de la Commission dans les Etats ACP (le contenu opérationnel).

Modalités et dispositifs du dialogue entre les Délégations de la Commission européenne et les ANE locaux

Dans une perspective juridique, l’Accord de Cotonou offre un cadre prometteur pour la participation des ANE. En étudiant de près le texte, il est possible de trouver plusieurs preuves de l’importance attachée par les parties officielles (UE et Etat ACP) à la question de la participation. L’Article 2 du texte définit la participation comme un « principe fondamental » du Partenariat politique entre l’UE et les Etats ACP. Ensuite, un chapitre entier est consacré aux « Acteurs du partenariat » (articles 4 à 7), présentant les règles de base de la participation des ANE.

 

Selon Cotonou, les ANE « partenaires dans le dialogue » doivent être associés systématiquement à toutes les étapes du processus de programmation au cours desquelles les parties officielles se mettent d’accord sur les secteurs d’interventions prioritaires de la coopération entre l’UE et l’Etat ACP, le type d’aide à fournir et les stratégies de mise en œuvre les plus appropriées. C’est à la suite du processus de programmation qu’est établi le Document de Stratégie Pays (DSP) et le Plan Indicatif National (PIN)7 . Le DSP et le PIN sont pluriannuels. Pour comprendre ce que signifie la participation des acteurs non étatiques dans la pratique, il faut voir la coopération entre l’UE et un pays ACP comme un processus qui passe par différentes phases. Chacune de ces phases offre aux ANE des possibilités de participation à:

  • La programmation qui fixe les priorités de la coopération (mise au point du DSP)

  • La définition des stratégies sectorielles retenues dans le PIN (développement rural, infrastructures, accès des pauvres aux services sociaux de base…)

  • La mise en œuvre opérationnelle des programmes et des projets de développement

  • La mise en œuvre de programmes spécifiques d’appui destinés aux ANE (renforcement des capacités)

  • Aux revues (annuelle, à mi-parcours, à fin de parcours) et aux évaluations du Partenariat.

Les modalités de ces dialogues n’ont été précisées qu’en novembre 2004 par l’intermédiaire de directives8 . D’une manière générale, c’est au niveau du pays ACP que sont fixées, de façon discrétionnaire, les procédures de consultation. Les directives de 2004 annoncent par exemple que le Chef de Délégation « jouera un rôle pivot dans la promotion et l’encouragement du dialogue entre les ANE et les autorités concernées » .

Pour détailler les procédures et les dispositifs permettant le dialogue, il est nécessaire de centrer notre étude sur les relations entre l’UE et un Etat particulier. En nous basant sur nos recherches antérieures, nous envisageons dans les chapitres suivants les relations entre l’UE et la République du Niger.

Le rapport annuel 2003 de la Délégation de la Commission européenne à Niamey affirme que la démarche du Partenariat UE/Niger «est caractérisée par son originalité qui réside dans la systématisation du processus participatif (des consultations ont été menées avec les représentants du parlement, de l’administration, du secteur privé, des associations et syndicats, des organisations de la société civile et des partenaires du développement)»9. Quelques pages plus loin, il est noté que « le Programme Indicatif National 9ème FED est le résultat d’un processus participatif entre l’administration, la société civile nigérienne et la Commission Européenne, en particulier sa Délégation au Niger. Il se fonde sur les principes d’appropriation et de partenariat et vise à appuyer les efforts de réduction de la pauvreté au Niger. »

A travers la présentation officielle de la coopération européenne au Niger, la DCE de Niamey semble clairement engagée dans l’activation de processus participatifs d’envergure afin de mettre au point sa coopération avec les autorités nigériennes. En faisant fréquemment référence au vocabulaire lié aux modes de gouvernance, les fonctionnaires de la DCE auraient suivi à la lettre les dispositions de l’Accord de Cotonou. A l’aide d’entretiens effectués auprès de fonctionnaires de la DCE, il est possible de se démarquer de ce type de discours institutionnel.

Une mise en œuvre difficile sur le terrain

Des entretiens avec les administrateurs européens en charge de la coopération avec le Niger nous ont permis d’éclairer la façon dont la Délégation a, de fait, mis en œuvre l’approche participative de l’Accord de Cotonou. Si l’accès aux documents n’a pas été aisé, nos rencontres avec l’administrateur chargé des relations avec les organisations de la société civile ainsi qu’avec le chef de Délégation nous ont apportés de précieux éléments d’information.

Le fonctionnaire chargé des relations avec les ANE nous a paru très réservé au sujet des processus participatifs : « Avant de parler de participation, il faut voir la situation du pays. La société civile est très jeune au Niger, il y a donc beaucoup de problèmes. Beaucoup d’ONG se sont déployées de façon opportuniste ce qui crée une situation de méfiance, de prudence au sein de la Délégation » . Au sujet de la participation dans le cadre de la rédaction du DSP et du PIN : « En 2001, il n’y a pas eu un processus réellement participatif car l’Accord de Cotonou venait de sortir. Le processus a été très limité et s’est résumé par la tenue de deux ateliers pendant lesquels les autorités nationales nigériennes et la DCE ont présenté [aux ANE] ce qu’ils avaient l’intention de faire, les guidelines du Partenariat » .

Du côté du chef de Délégation, les informations sont encore plus partielles. L’Ambassadeur de l’UE au Niger ne semblait pas très informé au sujet des relations entre la DCE et les ANE. Pourtant, les directives de novembre 2004 font du chef de Délégation le garant principal de ces relations. Notons cependant quelques unes de ses remarques: « Honnêtement, c’est une importance opérationnelle très réduite. Le dialogue ne permet pas de changer notre appréciation. Il me semble que nous avons traité le dialogue avec la société civile de manière plus légère ici qu’ailleurs car nous n’avions pas le temps » . Au sujet de la pertinence d’une telle procédure, il avoue : « Le dialogue n’a pas vraiment changé notre coopération » . En guise de conclusion de notre entretien, il lance : « En fait, on influence plus l’orientation de notre coopération grâce au poids de notre financement que par le dialogue avec les acteurs nationaux » .

Ces quelques remarques des fonctionnaires de la DCE nous éclairent davantage que les documents officiels. En effet, il semble qu’au Niger, les orientations de l’Accord de Cotonou en matière de participation des ANE n’aient pas été respectées. Malgré un accord relevant du droit international et des directives contraignantes de la Commission, la DCE de Niamey n’aurait « pas eu assez de temps » pour organiser une véritable procédure de consultation. Les quelques réunions entre représentants de la société civile et fonctionnaires de la DCE se sont résumées à des séances d’information au cours desquelles les responsables de la délégation ont présenté les axes et l’évolution de la coopération. Ainsi, nous ne pouvons pas parler de « consultation » , encore moins de « participation » de la société civile. Au mieux, il s’agissait de processus de « publicisation » des stratégies de coopération.

Si des réunions ont effectivement été organisées, elles ont regroupé les Acteurs Non Etatiques les plus proches du pouvoir en place qui, en aucun cas, ne pouvaient exercer leurs pouvoirs d’opposition. Ces organisations auraient été cooptées par la DCE et les autorités nationales afin de faciliter et de rationaliser le dialogue. En fait, ces rencontres ont été organisées puisqu’elles étaient imposées par l’Accord de Cotonou. Cependant, dans la pratique, il ne semble pas qu’elles aient aidé à rapprocher « les pauvres » des politiques européennes de développement puisque les représentants des ANE cooptés faisaient bien souvent partie de l’élite du secteur non gouvernemental nigérien. Il s’agissait pour la plupart d’individus fortement connectés socialement qui ont davantage l’habitude des hautes sphères du pouvoir que du travail sur le terrain, auprès de la population pauvre.

A travers cet exemple de « processus participatif » qui ne saurait être généralisable, il parait évident que des instruments de dialogue fixés à un niveau global (issus de l’Accord de Cotonou et de directives européennes) sont difficilement applicables au niveau local, par les fonctionnaires des Délégations de la Commission européenne.

Conclusion :

Plus de cinq ans après la signature de l’Accord de Cotonou, il est possible d’établir un premier bilan de l’orientation participative de ce Traité. La Commission européenne a récemment réalisé une étude concernant la participation des ANE lors de la revue à mi-parcours du partenariat ACP/UE dans 61 pays en 2004. Cette étude fait apparaître que sur 61 Délégations dans les Etats ACP, 45 ont procédé à des « consultations » et 27 ont réalisé une « vraie consultation » des ANE locaux10. D’emblée, la distinction faite par la Commission entre « consultations » et « vraies consultations » implique qu’il existerait, de fait, des « fausses consultations » des ANE dans les pays ACP.

Si la Commission tend à légitimer ses politiques et ses programmes de coopération au développement par une participation accrue des acteurs non gouvernementaux dans son policy-making, dans la pratique, les instruments qu’elle a mis en place ne garantissent pas toujours l’effectivité du dialogue.

A Bruxelles, les ONG européennes critiquent des processus consultatifs inefficaces et inadaptés. Dans les pays ACP, les ANE proches de la population ont, de fait, peu de chance de profiter de la « fenêtre d’opportunité politique » créé par l’Accord de Cotonou. Ces constats illustrent toute la difficulté d’organiser des processus de dialogue et de consultation adéquats. Bien que les discours institutionnels sur la consultation des acteurs non étatiques paraissent généreux et novateurs, la mise en œuvre concrète de cette participation au niveau européen et au niveau des pays en développement s’avère être une mission quasi-impossible. En effet, les différents acteurs de ces dialogues empruntent des logiques parfois contradictoires et manquent souvent de volonté et d’audace politique.

Notas de pie de página

1Pour des définitions des termes d’ONG et des ANE, consulter la fiche consacrée aux acteurs non étatiques dans les politiques de développement.

2Ce Traité international signé en 2000 lie l’Union Européenne à 78 Etats d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (les Etats ACP)

3DEBBASCH Charles , Lexique de politique, Paris, Dalloz, 1992

4Dans le cadre de sa politique de bonne gouvernance interne, la Commission vise à respecter les principes d’ouverture, de cohérence, de responsabilité, d’efficacité et de participation. Pour plus d’information sur les principes de la bonne gouvernance, voir la fiche Note de lecture du livre blanc sur la gouvernance européenne de 2001.

5Introduit par l’Acte unique en 1986, le dialogue social européen réunit la Commission, la Confédération européenne des syndicats, l’UNICE ( l’Union des confédérations de l’industrie et des employeurs d’Europe) et le CEEP ( le Centre européen des entreprises à participation publique).

6Ces quelques pages sont issues d’un travail de recherche effectué en région parisienne et au Niger en 2005. Voir bibliographie.

7Dans chaque Etat ACP, les fonctionnaires de la Délégation de la Commission rédigent le DSP qui vise à encadrer et à programmer les relations entre l’UE et l’Etat destinataire des politiques de développement. Le PIN est quant à lui considéré comme la « feuille de route » du Partenariat puisqu’il détaille les différentes actions à mettre en œuvre dans des limites spatio-temporelles prédéterminées.

8Commission européenne, Directives sur les principes et bonnes pratiques en matière de participation des acteurs non étatiques aux dialogues et aux consultations sur le développement, Bruxelles, novembre 2004.

9DCE au Niger, Rapport annuel 2003, Coopération entre la Commission européenne et la République du Niger.

10Présentation de la stratégie d’appui aux OSC de la Commission européenne effectuée par une administratrice de la DG Développement (Unité Stratégie et communication), le 01/07/2005, lors du séminaire du Comité Français de Solidarité Internationale « Vers une coopération de sociétés civiles à sociétés civiles » , Paris, du 29/06 au 01/07/2005.

Sites Internet utiles et bibliographie indicative :

La plateforme européenne des ONG de développement Concord www.concordeurope.org

Le Centre européen de gestion des politiques de développement www.ecdpm.org

La Délégation de l’Union Européenne au Niger : www.delner.cec.eu.int

 

 

ECDPM, L’Accord de Cotonou. Manuel à l’usage des Acteurs Non Etatiques, Le secrétariat ACP, Bruxelles, 2003.

MONTAGNER Maxime, La société civile dans les politiques de développement de l’UE entre rhétorique et développement. L’Accord de Cotonou appliqué au contexte nigérien, Mémoire de Master recherche de l’école doctorale de Sciences Po Paris, septembre 2005.

PHILIPPART Agnès, Bilan et perspectives des moyens d’influence politique des ONG de développement envers la Commission européenne, Mémoire de sciences politiques, octobre 2002

 

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