Interview

Entretien avec M. Luiz Paulo Leal, Gestionnaire de Projets à l’Institut Pereira Passos.

M. Luiz Paulo Leal

By Audrey Séon

June 2, 2008

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Mon interlocuteur

M. Leal est gestionnaire de projets pour la Zone de Planification N° 1 (Centre de la ville) au sein de l’Institut Municipal d’Urbanisme Pereira Passos (IPP). Il a accepté de me recevoir pour évoquer ses méthodes de travail et le rôle de l’IPP dans les projets urbanistiques de la ville. Il me semble important de mettre en valeur cet entretien afin de s’attarder sur le rôle de l’IPP comme « concepteur de projet » pour la ville de Rio.

Le contexte

L’IPP a été créé en 1998. Rattaché au Secrétariat Municipal d’Urbanisme, il n’en est pas moins une entité indépendante avec son propre budget et sa propre organisation. Il a hérité du nom du maire de l’ancien District Fédéral entre 1902 et 1906, Francisco Pereira Passos. Celui-ci avait conduit de grandes transformations dans la capitale de la république brésilienne alors en plein boom caféier, modernisant le centre de l’ancienne ville coloniale. En élargissant les rues, en créant des avenues sur les espaces laissés par la démolition des collines (morros), en canalisant les rivières Carioca et Maracanã et en réalisant des travaux d’embellissement de la ville, il contribua à rendre Rio digne de son statut de ville-capitale et lui permit d’entrer dignement dans le XXème siècle.

L’IPP a pour origine la Fondation RioPlan, créée en 1979 et devenue entre temps IplanRio (Entreprise Municipal d’Informatique et de Planification) dont les activités se concentraient autour de la gestion informatique, de la production de statistiques et de la planification urbaine. L’IplanRio avait la responsabilité de la base cartographique de la Municipalité. En 1998, elle est dépossédée de la partie planification et statistique pour ne conserver que les activités informatiques. La production d’informations (statistiques, cartographie) et surtout les fonctions de planification deviennent les attributs du nouvel Institut Pereira Passos. En plus, l’Institut devient la référence pour mener à bien les études socio-économiques qui alimentent la formulation des projets stratégiques dont la ville a besoin dans les différents secteurs dont elle a les compétences.

Avec la devise Ici, nous pensons et planifions le Rio de Janeiro du futur (Aqui pensamos e planejamos o Rio de Janeiro do futuro), l’Institut se doit de faire preuve d’une « vision systémique des projets de rénovation, revitalisation et restructuration urbaines” qui permettent d’intégrer l’ensemble des enjeux auxquels est confrontée la ville.

L’IPP est présidé par Sergio Besserman, un économiste qui a longtemps travaillé au BNDES (Banque Nationale de Développement Economique et Social) avant de devenir président de l’IBGE (Institut Brésilien de Géographie et Statistiques, INSEE brésilien) de 1999 à 2003. Il est secondé par une directrice de cabinet, trois directeurs et deux vice-directeurs qui constituent l’équipe de direction de l’IPP.

Retranscription de l’entretien

Dès le début, nous entrons dans le vif du sujet, M. Leal me reçoit au milieu de ses collaborateurs, dans un bureau ouvert.

Comment travaillez-vous et comment fonctionne l’IPP ?

Au sein de l’IPP, il existe une direction de l’urbanisme qui est en charge des projets qui vont être exécutés. Les projets passent par plusieurs phases. Après la définition de zones prioritaires, l’IPP contractualise avec différents cabinets d’étude privés pour la formulation d’un projet basique. Ce projet basique devient un projet exécutif une fois que les derniers ajustements sont réalisés et qu’il est prêt pour que les licitations soient publiées.

Les quatre étapes qui permettent l’approbation du projet basique sont les suivantes :

  • Proposition conceptuelle

  • Etude préliminaire (1/500)

  • Anti-projet (1/250)

  • Projet basique

L’IPP est celui qui surveille, analyse et approuve chaque étape de la formulation, le maître d‘œuvre en somme. Plus spécifiquement, les domaines dans lequel l’IPP est compétent sont les suivants : drainage, assainissement, énergie, illumination, enrobement, pavage et entretien des voies de circulation, et enfin signalisation routière et directionnelle. Chaque projet inclue obligatoirement un « nettoyage général » de la zone où il est mis en place, comprenez par là un enfouissement des fils électriques

A votre niveau, en quoi consiste concrètement votre travail ? Sur quels projets vous concentrez-vous ?

La ville de Rio est divisée en 5 Zones de Planification (Areas de Planejamento - AP) avec à l’intérieur des zones prioritaires plus réduites. Dans le cas de la Zone N°1, c’est-à-dire le centre de la ville, nous sommes en train de réaliser une étude avec le financement de la Banque Interaméricaine de Développement (BID) pour formuler un plan de revitalisation du centre et donner une perspective global à un ensemble de projets dispersés qui ont été réalisés, pour certains, sans être menés à terme. (cf Fiche sur les navettes maritimes)

Figure 1 : vue du centre de Rio depuis le Corcovado

Ce plan va englober la région portuaire qui a déjà fait l’objet de pas mal d’attention quand Augusto Ivan de Freitas Pinheiro était à l’IPP (ex-directeur de l’IPP, puis secrétaire municipal de l’urbanisme) avec la rédaction d’un plan directeur de la zone, des propositions structurelles dont une partie (celles qui ont été reconnues comme prioritaires) ont été progressivement réalisées, mais aussi le front maritime autour de la Praça XV (Place XV), le quartier de São Cristovão et enfin le projet Sá(s) autour des trois axes que sont Mem de Sá, Estaço de Sá et Salvador de Sá.

Pour reprendre ces initiatives et les articuler, l’IPP a lancé un concours qu’a gagné l’APUR (Atelier Parisien d’Urbanisme). L’IBAM est la contrepartie/ le partenaire local de l’APUR et est plus particulièrement en charge du travail sur le marché immobilier, notamment du fait de la désertification du centre de la ville qui a perdu 35 000 habitants depuis les années 80. En plus du marché immobilier, il faut prendre en compte les interstices laissés par les infrastructures ferroviaires et portuaires à l’abandon tout en considérant les activités existantes. L’idée est d’arriver à une diversité fonctionnelle, avec un centre le plus mixte possible (en termes d’usage, de fréquentation par les différentes classes sociales, notamment de la classe moyenne haute qui s’en est délibérément éloignée) et le problème se concentre en grande partie sur l’habitat. Il y a la volonté de rompre avec l’appauvrissement et la stigmatisation de cette zone centrale et de faire face à « l’appel de la plage » qui a été responsable de l’urbanisation rapide de Copacabana et aujourd’hui de la Barra da Tijuca. Cette attraction de la zone atlantique (quartiers à proximité des plages atlantiques : Copacabana, Ipanema, Leblon, São Conrado, Barra da Tijuca) a un vrai coût pour la ville. Aujourd’hui, le taux d’équipement des ménages en automobiles est de un véhicule pour trois familles (1/1 à São Paulo) dans une ville dispersée où les problèmes d’embouteillage pèsent sur le quotidien des habitants qui vont pour beaucoup travailler dans le centre de la ville, zone de concentration des emplois. Il existe donc une réelle opportunité de revitalisation de cette zone en parallèle au constat fait d’une véritable « dés-économie » pour la ville causée par les trajets quotidiens.

Figure 2 : l’avenue Republica, à droite le siège social de la Petrobras.

En se penchant sur les zones protégées du centre, on se rend compte qu’il y a un travail très intéressant à réaliser avec le patrimoine culturel présent et qu’il est surtout plus que nécessaire. Une première zone a été définie en 84, ce couloir culturel a bénéficié d’un plan spécifique de protection. Puis en 1992, il y a création d’une APAC (Zone de Protection de l’Environnement Culturel1). Aujourd’hui, l’étude à venir doit composer avec ces zones protégées, tout en les incluant et les valorisant.

Quels sont les liens et les relations de l’IPP avec les autres entités municipales et les différents acteurs de la ville?

L’IPP est rattaché au Secrétariat Municipal d’Urbanisme, mais il est administré indirectement et possède un budget propre. Il y a coopération entre les techniciens de l’IPP et ceux des différents Secrétariats Municipaux, SM des travaux publics, de l’environnement, du patrimoine, de l’habitat. M. Leal reconnaît que les disputes et les divisions politiques entre les secrétaires municipaux, dont les postes ont vraiment une valeur politique et non pas simplement administrative, rend le travail avec les uns et les autres plus difficiles. Il existe des rivalités, des questions politiques, des intérêts notamment au niveau immobilier avec des manœuvres électorales qui compliquent le processus.

Par rapport au COMPUR2, il a existé, a disparu et aujourd’hui, il revient timidement. Il n’a pas un vrai poids.

L’IPP se structure et travaille en fonction des 5 zones de planification définies depuis 2 ans, pour faciliter les diagnostics et déterminer les projets prioritaires. Mais cette organisation ne se combine pas très bien avec le travail du SMU qui est chargé de la coordination du plan directeur. Ce sont deux formes de planification différentes en présence. Et il existe une distance très grande entre les façons de travailler des deux organismes. Le plan directeur est très rigide et générique. Il définit un indice d’utilisation du sol (Indice de aproveitamento do solo), ce qui est un enjeu très grand au sein de la Chambres des Vereadores (où est représenté un véritable lobby immobilier qui joue sur la spéculation immobilière dans la ville, on parle de « bancada imobiliária »).

Le problème de la division en Zones de planification réside dans une difficile prise en compte de la mobilité dans la ville mais comme toutes les équipes travaillent côte à côte, il est possible de les coordonner.

Par rapport à la décentralisation des compétences et leur répartition, on peut prendre l’exemple du transport qui normalement dépend plus de la métropole, mais les problèmes de transport se concentrent dans la zone centre. L’IPP a proposé un projet de mise en place d’un petit tramway (bondinho) avec connexion intermodale pour libérer un maximum le centre des bus qui l’encombrent. Des spécialistes en transport sont en train de travailler sur l’étude du plan du centre. Mais l’IPP ne gère pas la politique de transport et a une possibilité d’ingérence limitée sur ces questions.

Figure 3 : le tram (bondinho) qui relie le centre au quartier de Santa Teresa

Qu’en est-il du rôle de l’IPP dans la préparation de la candidature de Rio pour les JO 2016?

Dans l’équipe de la Municipalité, il y a un représentant de l’IPP qui travaille sur ce projet. De même pour la Coupe du Monde 2014 qui se jouera donc avant. C’est pourquoi il y a de vraies opportunités pour la zone de São Cristovão, Maracanã, autour de l’Université de l’Etat de Rio de Janeiro (UERJ – Universidade Estadual do Rio de Janeiro) et du parc de la Quinta da Boa Vista. Les projets visant à relier ces espaces de la ville entre eux prennent un sens dans la perspective de ces rendez-vous mondiaux.

Figure 4 : le mythique stade Maracanã, tout proche de São Cristovão

Remerciements

Je tiens à remercier sincèrement M. Leal pour sa disponibilité, ainsi que l’ensemble de mes interlocuteurs qui se sont prêtés au jeu de l’entretien, entretiens qui m’ont été accordés rapidement, simplement et sans détour, cela mérite d’être souligné.

Commentaires sur la gouvernance : Retranscrire cet entretien, c’est montrer la réflexion quotidienne des acteurs locaux en matière d’urbanisme et dans le cas de Rio, approfondir le rôle joué par l’Institut Pereira Passos, et plus largement par la municipalité. L’IPP représente justement la poussée de la thématique de la gouvernance dans les institutions locales, un courant qui cherche à mettre en place une réflexion plus transversale même si les tendances sectorielles et fonctionnelles sont souvent bien implantées et difficiles à moderniser. L’IPP a l’avantage de bénéficier d’une certaine indépendance, notamment par rapport aux jeux politiques, même s’il fait tout de même partie de l’ensemble « municipalité ». L’IPP me semble avoir de vrais atouts pour orienter la politique urbaine de Rio, notamment des contacts internationaux et des compétences techniques qu’il peut mettre à profit pour la formulation de nouvelles alternatives et de projets intéressants. L’IPP ressemble à une « agence d’urbanisme » au sens où on l’entend en France, et montre une appropriation du terme « urbanisme » dans un pays où l’on s’attachait plus à l’architecture, et où les urbanistes sont dans l’ensemble avant tout des architectes. A prendre en compte également, la réflexion menée dans les universités sur les questions urbaines. Le milieu académique qui a une certaine indépendance vis-à-vis du politique est plus ou moins pris en compte et difficilement associé aux discussions en cours.

Bibliographie et liens internet :

IPP : www.rio.rj.gov.br/ipp/

SMU :www2.rio.rj.gov.br/smu/

COMPUR :www2.rio.rj.gov.br/smu/compur/compur.html

POUSO (cf fiche n°1): www2.rio.rj.gov.br/smu/educacao/pouso.html

Deux entretiens de Sergio Besserman au journal Diario do Rio sur le changement climatique: diariodorio.com/o-rio-e-o-aquecimento-global-entrevista-com-sergio-besserman-parte-1-de-2/

Annexe 1: Le découpage en cinq zones de planification par l’IPP. Sur le document, mise en valeur des zones situées à moins d’un mètre cinquante au-dessus du niveau de la mer dans le cadre de la réflexion sur les conséquences du changement climatiques.

Notes

1: Créée en 1002, en parallèle au Plan directeur décennal, la dénomination APAC permet de définir des zones intéressantes du point de vue patrimonial et d’en assurer la protection, comme cela se fait avec l’environnement : APA (Zone de Protection Environnemental)

2: COMPUR : Conseil Municipal de la Politique Urbaine de la ville de Rio de Janeiro, organe participatif et consultatif qui regroupe des entités à vocation de planification urbaine, par exemple l’Institut des Architectes du Brésil-RJ, des entités entrepreneuriales, des entités communautaires, la chambre municipale et les différents organes municipaux concernés par ces questions. Dans son principe, le COMPUR représente une vraie avancée en termes de gouvernance, mais son simple rôle consultatif restreint son action et il ne peut avoir de poids que s’il y a une réelle volonté politique de le réunir.

 

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