litterature review
Le Statut des ressources vitales en droit international, Essai sur le concept de patrimoine commun de l’humanité.
De la nécessité d’appréhender les ressources vitales à travers le concept de patrimoine commun de l’humanité et de l’inaptitude de la réponse économique.
Author : Sylvie Paquerot
June 2005Program Coproduction of Public Action
Dossier La normativité internationale comme outil de gouvernance
KeyWords : State Territorial sovereigntyTable of content
Sylvie Paquerot
Sylvie Paquerot est juriste, spécialisée en droit international, et politologue. Ses champs de recherche visent à élargir la portée effective des droits humains : responsabilité des États dans la mise en oeuvre des droits ; droits des peuples autochtones, primauté des droits dans le cadre de la mondialisation. En plus de participer à plusieurs missions internationales sur différents continents, elle a été membre du CA de la Ligue des droits et libertés et a collaboré régulièrement avec la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme, particulièrement en matière d’enjeux liés à la mondialisation des marchés ; elle est également membre du comité promoteur mondial pour le Contrat de l’eau. Sylvie Paquerot est boursière du CRSH, du FCAR et du Ministère des ressources naturelles du Canada, pour un doctorat en droit international à l’Université Paris VII portant sur l’eau, Patrimoine commun de l’humanité. Elle a publié, aux éditions Bruylant, un livre intitulé Le statut des ressources vitales en droit international.
Dans son essai relatif au Statut des ressources vitales en droit international, Sylvie Paquerot s’attache à établir la nature ainsi que le régime juridiques des ressources vitales, et plus particulièrement de l’eau. Selon elle, l’eau est un bien commun. C’est une ressource naturelle, mais plus que ça, c’est surtout une ressource vitale. Elle opère en effet une hiérarchie au sein des ressources naturelles, en distinguant, parmi elles, les ressources naturelles vitales qui constituent un bien fondamental non substituables. L’eau en est la meilleure illustration.
L’appréhension de l’eau en tant que bien commun pousse l’auteur à se demander si le régime juridique instauré pour sa mise en œuvre est adéquat. En effet, le principe fondamental qui régit les ressources naturelles est celui de la souveraineté. Ainsi chaque Etat est libre de gérer comme il l’entend ses ressources. Néanmoins, on peut se demander si cette juxtaposition de souverainetés est le meilleur moyen d’assurer la poursuite du bien commun de l’humanité.
Le problème du principe du droit des peuples à disposer de leurs ressources est qu’il omet plusieurs aspects importants de l’enjeu des ressources vitales. Ainsi, par exemple, il n’opère aucune distinction entre les ressources naturelles et les ressources vitales ; en outre, il n’empêche pas la privatisation de ces ressources, permettant tout au plus un contrôle sur l’utilisation et la distribution par une entité publique. Or, il paraît essentiel de distinguer les ressources naturelles des ressources vitales, puisque, en touchant aux biens fondamentaux de notre planète, c’est la survie de l’humanité qui est en jeu.
Les ressources naturelles peuvent être exploitées d’un point de vue économique. Les ressources vitales, elles, constituent des éléments essentiels à la vie et leur préservation et répartition s’avèrent nécessaires au bien commun de l’humanité. Elles ne peuvent donc avoir pour objet unique une exploitation économique. Il s’agit, selon l’auteur, de l’air, de l’eau, du sol et de la diversité biologique. Il faudrait donc trouver un concept au moyen duquel le régime juridique des ressources vitales pourrait être modifié. La notion de patrimoine commun de l’humanité pourrait être utilisée pour limiter la souveraineté des Etats et permettre à l’humanité de préserver les richesses de la planète.
La notion de patrimoine commun de l’humanité suppose la reconnaissance d’un bien commun supérieur. Il s’agit en fait de l’identification d’un intérêt supérieur aux intérêts étatiques individuels, autrement dit de l’intérêt commun de l’humanité. Cet intérêt commun devrait pousser les Etats à ne plus se percevoir représentant seulement leurs intérêts nationaux, mais responsables de l’intérêt de la communauté internationale. Cette acception est nécessaire à toute construction d’un ordre juridique mondial, transcendant l’international(1) .
Depuis la conférence de Stockholm de 1972, le monde a pris conscience que les problèmes environnementaux ne peuvent être circonscrits aux seins de frontières nationales. Par conséquent, des solutions nationales ne seraient être suffisantes. C’est bien au niveau international qu’il faut agir. La notion de patrimoine commun de l’humanité pourrait être un outil efficace pour rendre compte de l’intérêt collectif, et imposer certains devoirs à la communauté internationale.
La notion de patrimoine commun de l’humanité a été introduite dans la Convention sur le droit de la mer et dans le Traité sur la lune et les autres corps célestes. De ces textes, il est possible de déduire que la notion de patrimoine commun de l’humanité comporte quatre éléments : la non-appropriation, la gestion internationale, le partage des bénéfices et l’utilisation exclusivement pacifique des ressources naturelles. Ce concept dépasse la souveraineté des Etats, pour envisager la création d’une représentation juridique des intérêts supranationaux.
Cette expression a ensuite été remplacée par celle de préoccupation commune de l’humanité. Pour les Etats, cette dernière allie l’avantage de traiter de l’intérêt commun sans pour autant bouleverser l’ordre international établi en maintenant le principe de souveraineté. Chaque Etat reste donc maître de ses ressources. Pour l’auteur, ce remplacement montre bien “ le caractère incomplet de la prise en compte de la réalité de l’interdépendance planétaire ”(2) puisque la notion de préoccupation commune de l’humanité n’offre pas les outils nécessaires à la mise en œuvre de l’intérêt commun, puisqu’elle n’a pas de portée supranationale.
Il est vrai que le concept de patrimoine commun de l’humanité a été crée pour s’appliquer à des ressources situées en dehors des frontières nationales (3). Autrement dit, si l’on veut transposer ce concept aux ressources vitales situées à l’intérieur des frontières étatiques, le concept doit être adapté. En effet, si le principe de non-appropriation est inhérent à la notion de patrimoine commun de l’humanité, nous avons vu que l’Etat bénéficie d’une souveraineté absolue sur ses ressources naturelles. Il faut donc impérativement concilier ces deux visions. L’auteur résume les choses ainsi : la ressource devrait être administrée par une institution supranationale, son usage devrait être non exclusif et les bénéfices et les charges devraient être répartis entre tous. La gestion devrait être durable en vue de préserver les ressources pour les générations futures, le concept de patrimoine de l’humanité induisant une perspective de préservation et de répartition équitable des ressources vitales.
Sans l’eau, la vie n’est pas possible ; or l’utilisation actuelle des pays riches dépasse la capacité régénératrice de cette ressource. C’est pourquoi il est urgent de trouver des solutions pour parvenir à une meilleure préservation et répartition de cette ressource. Malheureusement, La Convention relative à l’utilisation des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation, adoptée en 1997, montre clairement l’opposition des Etats à appréhender l’eau comme une ressource vitale commune. Nulle part dans la Convention ne figure la reconnaissance de l’eau en tant que préoccupation commune de l’humanité ; pire encore, elle ne contient pas même le mot “ protection ”. Le texte consacre en fait l’existence de souverainetés concurrentes, plutôt que “ la reconnaissance d’une responsabilité commune mais différenciée de la communauté internationale à préserver cette ressource vitale et d’un droit commun de l’humanité à pouvoir en bénéficier ”(4) . En fait, la Convention ne fait que codifier les principes qui existaient déjà en droit international. La préservation de l’eau repose donc toujours sur le principe de l’utilisation raisonnable et équitable, complété par l’interdiction de causer des dommages aux Etats utilisateurs du même cours d’eau. Autrement dit, la pollution n’est interdite que si elle nuit aux voisins !
La prépondérance des intérêts économiques sur la pérennité des ressources vitales est donc flagrante. Le droit international ne parvient pas, face aux refus des Etats, à reconnaître l’eau comme un bien commun de l’humanité. La seule réponse apportée à l’enjeu de la préservation de la ressource eau est économique : la fixation d’un prix à l’eau selon les règles du marché permettrait de sauvegarder la ressource. Ainsi, de bien commun, on passe à l’appréhension de l’eau en tant que bien économique (5) ! Face à cette absence de considération de la notion de bien commun dans la préservation et l’utilisation de l’eau, l’auteur énonce que “ les faiblesses des instruments existants restent nombreuses et importantes à l’aulne des enjeux réels pour la population mondiale, la gestion de la compétition et de la concurrence des intérêts particuliers des Etats n’ayant su céder la place à la reconnaissance et la poursuite d’un intérêt commun ” (6).
Sylvie Paquerot dresse ici un portrait sans concession de la situation internationale des ressources vitales, et plus particulièrement de l’eau. Elle montre avec persuasion l’inadéquation du système international actuel qui tente d’apporter des solutions par le biais d’un droit international limité par la souveraineté absolue des Etats et qui empêche la prise en compte d’intérêts communs. La réponse économique aux problèmes environnementaux ne peut être satisfaisante puisque, comme le dit l’auteur, “ si le passé est garant de l’avenir, on sait déjà qu’une répartition équitable des ressources vitales ne pourra être réalisée par la liberté des échanges qui, en matière de ressources, a depuis toujours joué au détriment des pays et des populations les plus pauvres ”(7) .
Face à ce constat alarmant, où les Etats ne semblent pas conscients de l’imminence de la catastrophe, il est urgent de réagir et d’“ instituer l’humanité ”(8) , seule réponse possible face aux enjeux globaux des ressources vitales.
Notes
1 Monique Chemillier-Gendreau, “ Vous avez dit ‘Frontières’ ? ”, Revue Le Passant ordinaire, n°37, novembre/décembre 2001, en ligne : < www.passant-ordinaire.com/revue/37-295.asp>.
2 Sylvie Paquerot, Le Statut des ressources vitales en droit international, Essai sur le concept de patrimoine commun de l’humanité, collection mondialisation et droit international, Bruxelles, Bruylant, 2002, p 227.
3 Comme la Lune ou la haute mer.
4 Sylvie Paquerot, Le Statut des ressources vitales en droit international, Essai sur le concept de patrimoine commun de l’humanité, collection mondialisation et droit international, Bruxelles, Bruylant, 2002, p 215.
5 La Conférence internationale sur l’eau et l’environnement : le développement dans la perspective du 21e siècle “ Déclaration de Dublin ”, Dublin, 26-31 janvier 1992 énonce, dans son Principe 4, que l’eau doit être reconnue comme un bien économique et les Nations Unies, dans l’Agenda 21 de la Conférence de Rio de 1992, en font une marchandise dont le prix doit être fixé par l’offre et la demande.
6 Sylvie Paquerot, Le Statut des ressources vitales en droit international, Essai sur le concept de patrimoine commun de l’humanité, collection mondialisation et droit international, Bruxelles, Bruylant, 2002, p 213.
7 Sylvie Paquerot, Le Statut des ressources vitales en droit international, Essai sur le concept de patrimoine commun de l’humanité, collection mondialisation et droit international, Bruxelles, Bruylant, 2002, p 230.
8 Sylvie Paquerot, Le Statut des ressources vitales en droit international, Essai sur le concept de patrimoine commun de l’humanité, collection mondialisation et droit international, Bruxelles, Bruylant, 2002, p 242.
Sylvie Paquerot, Le Statut des ressources vitales en droit international, Essai sur le concept de patrimoine commun de l’humanité, collection mondialisation et droit international, Bruxelles, Bruylant, 2002.