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Quand gouvernance européenne rime avec gouvernance urbaine
Concepts et outils à l’œuvre au sein des politiques publiques européennes
April 2006Alors que l’Etat est concurrencé de toutes parts, dans sa capacité comme dans sa légitimité, la gouvernance apparaît à la fois comme symptôme et remède à l’érosion des bases de son pouvoir. L’analyse des outils de la gouvernance européenne ici proposée en constitue une illustration. L’exemple des Programmes d’Initiatives Communautaires (PIC) donne à voir comment le dialogue entre institutions européennes et collectivités régionales et/ou locales les conduit à contourner l’Etat. En responsabilisant les acteurs locaux, en favorisant les partenariats entre villes, ONG et entreprises, en impulsant l’import/export d’idées nouvelles, ces programmes entrent en concurrence avec les modèles nationaux, appelant une subtile redéfinition des rôles.
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Introduction
L’une des principales transformations des sociétés industrialisées ces dernières décennies a été l’érosion des bases traditionnelles du pouvoir, notamment par la remise en cause du monopole statonational. La transformation rapide de l’espace politique, via la globalisation des marchés, la montée en puissance des gouvernements subnationaux, le rôle plus important de la société civile, mais aussi les politiques néolibérales à la Thatcher, Reagan ou à la Mulroney ont favorisé une nouvelle manière d’envisager les institutions et les relations sociales. Il est aujourd’hui communément admis que l’État est concurrencé dans l’exercice de ses sources traditionnelles de pouvoir, que ce soit au niveau de ses capacités institutionnelles et performatives en termes de politiques publiques, ou de sa légitimité (Pierre 2000, 1-2).
La « gouvernance » est alors, et en particulier depuis les années 1990, évoquée comme symptôme mais aussi comme remède à cette érosion des bases traditionnelles du pouvoir étatique, associé à l’État bureaucratique weberien.
Émergence de la « gouvernance »
Face à la multiplication des acteurs et des espaces politiques, l’État n’apparaît plus comme le seul producteur d’ordre politique légitime, contribuant à l’émergence de la gouvernance. Il est alors question de « gouvernance européenne » , de « gouvernance mondiale » ou encore de « gouvernance urbaine » ou « locale » . La gouvernance est à la “mode”, aussi bien des chercheurs, que des praticiens politiques. Trois niveaux peuvent être mobilisés pour penser la gouvernance: normatif/prescriptif, descriptif et enfin théorique (Merrien 1998, 63). C’est le niveau normatif/prescriptif qui va retenir ici notre attention, car c’est à ce niveau que se situent les acteurs politiques, mais aussi certains chercheurs.
Pour certains, selon une vision libérale, la « bonne gouvernance » devrait réduire le rôle et la taille de l’État ainsi que de permettre l’expansion du secteur privé. Les outils de la « bonne gouvernance » sont alors la privatisation, la rigueur budgétaire, la décentralisation et le recours aux ONG (Voir Rhodes 2000, 57; de Senarclens 1998, 99). D’autres insistent plutôt sur la possibilité heureuse d’une interdépendance accrue entre les institutions gouvernementales, les communautés, les citoyens et la société civile ou le fait d’augmenter l’importance des réseaux et des partenariats dans la coordination des services publics. Dans ces cas, la gouvernance est comprise comme la solution à la crise de gouvernementalité des sociétés actuelles et vise à résoudre le problème de l’inefficacité des formes traditionnelles d’action publique (Merrien 1998, 61). Enfin, certains rejettent un engouement trompeur vis-à-vis de la gouvernance, qui parfois présentée comme décentralisation de compétences, se révèle plutôt être une décentralisation de l’État vers le marché. Le privé, les familles, les communautés et les individus sont amenés à prendre plus de responsabilités alors que l’État recule dans les rôles qu’il veut assumer (Jenson et Boismenu 1998).
Gouvernance européenne
Le cas de la gouvernance européenne illustre la propension des acteurs politiques à se revendiquer de la gouvernance. Depuis la fin des années 1990, la Commission fait la promotion de la gouvernance européenne, comme l’illustrent la stratégie Européenne pour l’emploi (SEE) mise en place après le Traité d’Amsterdam (1997) et le sommet européen de Lisbonne (2000) qui définit dans ses Conclusions de la Présidence la Méthode Ouverte de Coordination (MOC) . La Commission inscrit ensuite sa propre définition de la gouvernance avec la publication du « Livre Blanc sur la gouvernance » (2001). Ces tournants apparaissent comme autant de discours légitimateurs (Radaelli 2003, 7) vers ce nouveau paradigme. Les principes de cette « nouvelle architecture de gouvernance » (Radaelli 2003, 15) sont définis dans la MOC .
La stratégie de Lisbonne et la MOC sont à considérer à la fois comme une solution à plusieurs dilemmes, notamment celui de l’ « intégration négative » (Scharpf 2000), et de la crise de gouvernementalité des institutions européennes (coopération intergouvernementale versus intégration communautaire). Dans le domaine social, le sommet de Lisbonne veut répondre au souci de lier économie de marché et cohésion sociale, et vise à corriger le déséquilibre en faveur de l’intégration économique et monétaire par rapport à l’intégration sociale (Pochet 2005, 37).
Le Sommet de Lisbonne entend faire de l’Europe l’économie de la connaissance la plus dynamique au monde en 2010, être capable de créer plus et de meilleurs emplois dans le souci d’une plus grande cohésion sociale et de favoriser une plus grande convergence des politiques des États membres (Communautés Européennes 2000, 2).
Outre les instruments spécifiques de la MOC, tels que par exemple l’étalonnage des performances (« benchmarking » ) ou une surveillance multilatérale, le Livre Blanc sur la gouvernance met l’accent sur la participation des différents acteurs, que ce soit avec les différents niveaux de gouvernement et la société civile par le biais des partenariats et de l’empowerment. Le Livre Blanc souligne le fait que l’UE est passée d’une voie diplomatique à une voie plus démocratique (2001, 35), justifiant ainsi des liens plus directs avec la société civile et les collectivités locales (Jenson et Saint Martin 2003, 3).
Les Programmes d’Initiatives Communautaires, et notamment le dernier en date le PIC-Equal, synthétisent et illustrent bien les deux dimensions soulevées dans la « nouvelle architecture de la gouvernance » , à savoir les idées et les méthodes (ou les instruments) des politiques publiques européennes dans le domaine social.
Les Programmes d’initiatives communautaires
Les Programmes d’initiatives Communautaires (PIC)-Equal lancés par la Commission depuis 2001 s’inscrivent en ligne directe avec la stratégie de Lisbonne, en visant la lutte contre les discriminations et les inégalités sur le marché du travail. Ce programme se veut un laboratoire pour le « mainstreaming » , soit l’intégration et l’incorporation des idées et des approches nouvelles dans les politiques et les pratiques. La lutte contre les discriminations sur le marché du travail est alors considérée comme un problème central empêchant de créer plus d’emplois dans une société plus inclusive. Les PIC-Equal sont basés sur des domaines thématiques dont huit concernent directement les objectifs de la SEE , auquel il faut rajouter un thème sur les demandeurs d’asile .
Les PIC-Equal reprennent les instruments de la MOC comme outils de la nouvelle gouvernance européenne , tels que le partenariat et de l’empowerment, la coopération transnationale, l’intégration dans la dimension de genre, l’approche thématique, l’innovation et le mainstreaming. Ils sont fondés en grande partie sur les partenariats . Les Partenariats de Coopération Transnationale (PCT, i.e. avec d’acteurs relevant de pays de l’UE) et les Partenariats de Développement (PDD) avec le secteur privé, les ONG et les collectivités locales constituent les clés de voûte des programmes. La notion de partenariat est centrale car elle repose sur l’idée d’une plus grande efficacité des politiques lorsque les acteurs s’accordent sur les problèmes et les solutions à mettre en œuvre (voir Peters 2000, 41). Elle est généralement bien appréciée par les acteurs, compte tenu de la « tendance à considérer l’inclusion des associations dans le travail des autorités en général comme positive, à cause d’un climat favorable à la délégation ou à la coopération avec des groupes issus de la société civile entretenu par les institutions européennes, la privatisation des services publics, et généralement l’importance croissante du discours sur le bien fondé du partenariat et de la délégation en politique » (Garbaye 2005, 179).
Les partenariats sont alors à considérer du point de vue de l’UE mais aussi des autres acteurs partenaires, et notamment les collectivités locales. On remarque une sorte d’auto-renforcement de la gouvernance européenne et de la gouvernance « urbaine » .
Gouvernance urbaine
Le Livre Blanc sur la gouvernance européenne indique que les institutions européennes doivent « établir un dialogue plus systématique » avec les collectivités régionales et locales, et ce « à un stade précoce de l’élaboration des politiques » (Livre Blanc 2001, 4) pour mettre en place « des partenariats allant au delà des normes minimales dans certains domaines » . Elles s’engagent « ainsi à consulter davantage, en contrepartie de meilleures garanties d’ouverture et de représentativité des organisations consultées » (Livre Blanc 2001, 5).
Cette injonction à la collaboration des collectivités locales avec les institutions européennes constitue pour les deux types d’acteurs, autant d’occasions de contourner l’État et de mettre en place des outils spécifiques dans des domaines de compétences que ce dernier prend traditionnellement en charge. Dans les PIC-Equal, les collectivités locales comme les villes, sont particulièrement encouragées à participer à ces programmes.
« Le concept de gouvernance urbaine (…) suggère de mettre l’accent sur les formes de coordination verticale et horizontale de l’action publique » (Le Galès 1995, 60). Ainsi l’on remarque que l’incidence de l’UE agit à la fois sur les relations verticales en liant plus directement les Villes à l’UE et sur les relations horizontales en encourageant les partenariats avec les différents acteurs locaux comme les ONG ou encore les entreprises. Selon cette vision, les villes apparaissent non plus comme des administrations mais comme des institutions « qui comptent » avec des prérogatives plus affirmées, révélatrices et motrices du changement des institutions statonationales. Comme le notent Arnaud et Pinson, l’Union Européenne, notamment via les PIC, bouscule les modèles nationaux et contribue à offrir des dispositifs d’action territorialisées, fondées sur la responsabilisation des acteurs locaux plutôt que de recourir à une aide sociale centralisée et standardisée (2005, 214). Dans le cas d’EQUAL, les politiques d’intégration des immigrants sont emblématiques du contournement de prérogatives relevant traditionnellement du monopole étatique, en insistant sur le caractère mutuel, par le « haut » et par le « bas » de ce contournement.
Les PIC au concret…
L’un des derniers éléments important de la gouvernance européenne est le souci clairement affiché de l’apprentissage social (« social learning » ). Les idées et les instruments du nouveau paradigme de la gouvernance européenne sont supposés se diffuser parmi les acteurs qui y participent. Qu’en est-il plus concrètement? Sur le peu d’études qui, à ma connaissance, étudient les impacts des PIC sur les villes, les expériences sont mitigées. Nous évoquerons ici particulièrement l’influence de la gouvernance européenne sur les espaces urbains, notamment en ce qui concerne la lutte contre les discriminations et les minorités ethniques dans les villes.
Dans le cas d’un partenariat EQUAL Lyon et Birmingham, le partage de savoir entre villes et l’emphase mise sur la lutte contre les discriminations ainsi que sur l’entreprenariat a conduit à « une redéfinition politique du rôle et de la place des minorités ethniques dans la société locale » (Arnaud et Pinson 2005, 216). L’UE a « accompagné les changements de pratiques et de discours » , non pas tant par une remise en cause des « régimes d’intégration des États-nation » que de l’identité ethnique désormais revendiquée comme une ressource (Arnaud et Pinson 2005, 227). Selon Garbaye, l’UE participe à l’importation et l’exportation d’idées entre pays, ces réseaux apportant en France de nouvelles idées. « Les minorités ethniques sont plus souvent considérées en tant que telles et […] leurs besoins spécifiques tendent à être de plus en plus reconnus. La prise de conscience de l’intégration européenne comme fait accompli et l’exemple des villes étrangères est loin d’être étrangère à ce changement » (Garbaye 2005, 180).
Dans le cas d’un PIC-Equal entre la Ville de Paris, la province de Prato et la Chambre de Métier de Münster, l’influence du paradigme de la gouvernance européenne s’est ressentie, notamment sur les instruments choisis (démarches partenariales, souci d’empowerment, etc.) et sur les idées développées dans ce projet, l’origine ethnique ayant été reconnue comme objet légitime d’action publique . On retrouve l’idée d’une plus grande visibilité des villes dans le domaine de l’intégration des immigrants et de la lutte contre les discriminations sous une impulsion européenne, même si les résultats concrets du « lesson drawing » restent souvent limités par la force des référentiels nationaux (Fourot 2005).
La crise de la régulation politique traditionnelle associée à l’État bureaucratique weberien est donc bien tangible. Cette crise conduit à une redéfinition des contours étatiques de l’action publique, notamment par le double effet de la gouvernance européenne et urbaine, sans toutefois signifier son déclin ou négliger le poids des référentiels nationaux.
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