note de lecture
Une démocratie alternationale
Du modèle européen à la gouvernance mondiale
Auteur : Pascal Lamy
Par Corinna Jentzsch
1 avril 2005Table des matières
Pascal Lamy
Pascal Lamy, ancien élève d’HEC, de Sciences Po et de l’ENA a commencé sa carrière dans la fonction publique, à l’Inspection générale des finances et au Trésor. Il fut ensuite conseiller du ministre de l’économie et des finances, Jacques Delors et du premier ministre, Pierre Mauroy.
A Bruxelles de 1984 à 1994, il a exercé les fonctions de Directeur de cabinet du Président de la Commission européenne, Jacques Delors dont il a été le Sherpa au G7. En novembre 1994, il a rejoint au Crédit Lyonnais l’équipe chargée du redressement de la Banque et dirigée par Jean Peyrelevade, dont il est devenu ensuite le numéro deux. Après la privatisation du Crédit Lyonnais, il est désigné Commissaire européen par Romano Prodi et le gouvernement français en juillet 1999. En septembre de la même année le Parlement européen le confirme dans les fonctions de Commissaire au commerce.
Pascal Lamy est Président de l’association « Notre Europe », Professeur associé à l’Institut d’Etudes Politiques Paris et désigné directeur général de l’Organisation Mondiale de Commerce (OMC).
Une contradiction constitue le coeur de cette analyse de l’espace mondial : la nécessité de dépasser le cadre national afin de traiter des problèmes plus globaux d’aujourd’hui d’une part, et le défaut d’une gouvernance au niveau mondial qui aurait les mêmes principes centraux qu’une démocratie nationale (efficacité, légitimité et espace public de confrontation) d’autre part. L’auteur puise dans son expérience de la gouvernance au sein de l’Union européenne en tant que « la forme la plus avancée d’invention d’un système de gouvernement démocratique alternational et non hégémonique ». Après une analyse du malaise qui règne dans les sièges de pouvoirs mondiaux, l’auteur présente l’Union européenne comme modèle de gouvernance à développer, et définit 13 jalons pour la construction d’une démocratie-monde.
Le problème essentiel pour les Etats d’un « monde mondialisé » réside dans l’émergence d’un bien commun, d’un intérêt général qui soit à la fois à cette échelle et sans référence à une communauté politique constituée. Pourtant, plusieurs courants de pensée évitent d’établir une telle communauté : la pensée libérale souligne la vertu de la mise en concurrence des pouvoirs et des normes tandis que la pensée souverainiste voit dans la gouvernance mondiale une perte d’autonomie de la souveraineté de l’Etat.
L’impasse entre les actions qui se distinguent par un défaut de légitimité et la parole qui se traduit par l’impuissance résume la difficulté de la gouvernance mondiale. En effet, l’auteur voit dans les limites de la coopération et de la cohérence au sein des organisations internationales, ainsi que dans le caractère déclaratoire des conventions établies par des sommets et des grandes conférences la source des problèmes. De plus, le troisième maillon de la gouvernance, l’opinion publique mondiale, n’est pas encore assez structuré. Par ailleurs, on fait face à un paradoxe entre des organisations internationales légitimes mais non efficaces (ONU) et des organisations internationales efficaces mais non légitimes (OMC/Bretton Woods). Ces difficultés de construction d’une gouvernance mondiale démocratique appelle à penser cette gouvernance en tant que« démocratie alternationale » .
L’Union européenne est ici proposée comme modèle pour une telle gouvernance. Des principes comme la primauté du droit européen, la subsidiarité, le principe majoritaire et le monopole d’initiative témoignent du saut « technologique » de gouvernance en passant du système international au système communautaire. Des leçons sont à tirer de l’Europe pour un projet de gouvernance au niveau mondial : l’urgence de produire des résultats tangibles, mesurables et concrets qui répondent aux attentes des citoyens et la mise en scène des enjeux politiques accessible à tous.
La création d’une démocratie sur la scène internationale est aujourd’hui justifiée par la nécessité d’un arbitrage entre les intérêts et les valeurs. La démocratie a pour objectif de faire émerger des valeurs communes. Ainsi la démocratie-monde serait-elle fondée sur :
• Les valeurs :
o des préférences collectives globales autour du projet commun
o des normes minimales en élevant progressivement le seuil d’exigence
o des biens collectifs mondiaux
• Les lieux où le pouvoir s’exerce :
o le régionalisme qui ne s’oppose pas, mais soutient la gouvernance mondiale
o l’esprit démocratique de la subsidiarité
o des lieux de cohérence (la question horizontale des institutions et la question verticale entre l’échelon global, régional et les Etats)
• Les acteurs :
o une représentation plus équilibrée des acteurs globaux
o mettre en évidence des résultats intermédiaires
• Les mécanismes de gouvernance :
o l’enjeu de la majorité
o la capacité d’initiative
• Les principes :
o la transparence des liens entre la société civile, les Etats et les organisations internationales
o la solidarité entre les peuples – des impôts pour financer la lutte contre la pauvreté
Commentaire
Le point essentiel de l’analyse de Pascal Lamy est la reconnaissance d’un bien commun et ainsi l’aspiration à une communauté au niveau mondial. Il reconnaît qu’il s’agit là d’une tâche ambitieuse, en soulignant la nécessité d’avancées progressives, ainsi que les compromis impliqués car la gouvernance au niveau mondial n’est pas de gouvernance internationale, mais alternationale. Le premier compromis réside dans la définition minimale de la démocratie (efficacité, légitimité, espace public). Comme il n’est ni possible ni souhaitable de créer un véritable Etat mondial (un gouvernement), Pascal Lamy adapte la conception de la démocratie aux exigences mondiales. Le deuxième compromis consiste à rester dans la structure de la gouvernance mondiale d’aujourd’hui et de considérer les Nations unies comme point de départ.
Son idée d’une communauté internationale, soulignée par le terme d’une « démocratie-monde » , à l’ambition d’un projet de longue haleine. Mais l’Union européenne ne peut être qu’un modèle limité : même au niveau européen les valeurs communes sont contestées et font l’objet d’un vif débat.
Références documentaires
Lamy, Pascal, La démocratie-monde : pour une autre gouvernance mondiale. Paris : Seuil, 2004