note de lecture
La démocratie en miettes pour une révolution de la gouvernance - Partie II Chapitre 4 « La gestion des relations entre acteurs: l’enjeu et la pratique du partenariat. »
Auteur : Pierre Calame
Par Valérie Renault
juin 2005Table des matières
Pierre Calame
Pierre Calame, polytechnicien, ingénieur des Ponts et Chaussées, est Directeur Général de la Fondation Charles Léopold Mayer pour le progrès de l’Homme depuis une quinzaine d’années, après une carrière dans l’Administration française (Equipement) et dans l’industrie (secrétaire général d’Usinor).
La notion de bien public a évolué et sa responsabilité n’incombe plus aujourd’hui aux seuls acteurs publics. Entreprises et associations ont pénétré cette sphère et l’enjeu désormais est de coordonner l’action de ces acteurs, de redéfinir un nouveau contrat social, une Charte des responsabilités communes qui va bien au-delà des concepts actuels de « démocratie participative » ou de « participation des habitants ». La capacité de toutes les parties prenantes à coopérer dans un cadre de partenariat, comme les doigts de la main, est une des conditions majeures de développement.
C’est cette coopération qui permettra d’élargir l’éventail des solutions possibles aux nouveaux problèmes posés par la mondialisation. Sa mise en oeuvre suppose de surmonter plusieurs obstacles. Le premier est l’héritage de la Révolution française d’une institution étatique ultime garante des liberté, égalité et fraternité si chères aux révolutionnaires. Toutes autres organisations se prévalant de ce rôle apparaissent alors comme suspectes et l’impôt est souvent perçu comme l’acte de solidarité nécessaire et suffisant.L’Etat détient le quasi-monopole de la gestion du bien public, et les élus, représentants du peuple celui de la légitimité. Plaçant l’Etat au-dessus de tout autre acteur, un véritable partenariat devient en pratique très difficile à mettre en œuvre.
Or, c’est non plus une fonction d’autorité qu’il convient à l’Etat d’assumer mais une fonction de catalyse, de réunion de tous les acteurs autour d’un projet commun. Ce changement impose donc de profonds changements culturels.
Un partenariat implique d’instaurer un dialogue d’égal à égal, ou chacun s’ouvre au langage de l’autre et donne les moyens de comprendre le sien, pour une réelle compréhension mutuelle base indispensable de la construction de projets communs. Cette ouverture, cette avancée vers l’autre nécessite des efforts, des moyens et une liberté d’expression de part et d’autre. Orientés par des principes directeurs communs au pays, les fonctionnaires doivent désormais être libres et responsables de cette mise en œuvre « sur mesure ».Ainsi, le rôle des fonctionnaires passe progressivement de celui d’exécution de règles uniformes définies centralement, à celui de recherche des solutions les plus pertinentes pour leur application locale.
On voit là combien il est important pour une bonne gouvernance de disposer d’un arsenal large de solutions possibles, voire d’en inventer de nouvelles, d’aller les chercher dans la rencontre et la confrontation des différents points de vue. Apparaîtrons alors des espaces publics de cogestion.
Cette scène de débat public est aujourd’hui inexistante au niveau européen et les institutions résistent à son instauration.
A l’image de l’initiative Alliance 21 pour un monde responsable, pluriel et solidaire (www.alliance21.org), les échelles locales et nationales doivent pouvoir faire émerger le débat et le relayer aux autres niveaux de gouvernance. Cela impose encore une fois des moyens importants pour favoriser, écouter et organiser l’expression de tous. Les nouvelles technologies peuvent être mises à contribution pour une telle ambition démocratique. La traduction dans toutes les langues, la diffusion numérique des documents, la communication en réseau, l’échange d’expériences, la tenue de forum publics aux échelles nationale et internationale nécessite des moyens financiers importants mis à la disposition de TOUS, et pas seulement des Etats, entreprises et grosses ONG. Une éducation à la participation citoyenne avec maîtrise des moyens adéquats partagés par tous est également un pré requis pour limiter au maximum les exclusions sociales ainsi que la reconnaissance des capacités et compétences de chacun. Les communautés les plus exclues notamment doivent être institutionnalisées en faisant des habitants les principaux experts dont les connaissances serviront de base à la construction des politiques publiques.
Toutes les libertés dont on parle là s’accompagnent d’autant de responsabilités. Elles sont essentielles dans la gestion des confrontations, voire des conflits qu’engendre la concertation surtout quand celle-ci est à ses débuts.
Une réelle entrée en partenariat doit prendre en compte trois dimensions:
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l’entrée en intelligibilité: les différentes administrations doivent confondre leurs informations et leurs compréhension des problèmes pour l’établissement d’un diagnostique partagé. Cette pratique qui peut procéder du simple bon sens constitue une « révolution » des habitudes institutionnelles et est perçue comme une mise en danger.
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l’entrée en dialogue de façon multilatérale et réellement égalitaire. Comme nous l’avons vu plus haut, un tel dialogue nécessite une recherche de compréhension, aller vers l’autre, ce qui là aussi est souvent perçu comme une mise en danger et doit donc reposer sur une confiance mutuelle. Ce type de relation ne peut s’instaurer qu’entre êtres humains sur une période de temps suffisamment longue et non entre des « receveurs » et un système anonyme aux fonctionnaires interchangeables comme c’est le cas actuellement.
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l’entrée en projet, en inscrivant les actions sur le long terme vers des objectifs communs. Dans cette approche, les processus d’élaboration des solutions possibles sont au cœur.
Finalement, l’inauguration d’un partenariat reproduit à petite échelle les trois composantes de la gouvernance:
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l’identification des objectifs partagés
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l’énoncé du socle éthique commun et des règles du jeu des relations entre acteurs
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des dispositifs concrets pour élaborer le projet commun.
Notes
Ce texte nous ouvre un chemin possible vers des rapports différents les uns aux autres. Comment l’art de la médiation, nécessitant respect, écoute, non jugement et mise à l’écart des intérêts propres peut nous amener à suivre le fil des objectifs communs nous conduisant à un véritable « vivre ensemble ». De telles expériences ont déjà vu le jour à petite échelle, dans des établissement scolaires sensibles, dans des familles avec un succès surprenant. Pourquoi ne pas tenter l’expérience à l’échelle de la gouvernance mondiale? N’est-ce pas le réel défi de notre siècle?
Références documentaires
Éditeur : Descartes et Cie (23 avril 2003)
Collection : gouvernance et démocratie