Chapitre d’ouvrage
Temps électoral, temps révolutionnaire et idiome islamiste en Égypte
Ouvrage(s) : La gouvernance en révolution(s) - Chroniques de la gouvernance 2012
Table des matières
Sarah Ben Néfissa est chercheuse à l’Institut de recherche pour le développement (IRD/UMR 201). Politologue, spécialiste de l’Égypte et du monde arabe, elle a étudié notamment le secteur associatif, les processus électoraux ainsi que les mobilisations sociales et politiques.
L’Égypte a connu à la fin de l’année 2011 la première étape d’élections législatives importantes, onze mois à peine après la révolution du 25 janvier 2011 qui conduisit à la démission du président Hosni Moubarak. La mission des futurs parlementaires égyptiens est notamment d’ordre constitutionnel. Ce sont eux qui désigneront la commission de 100 personnalités en charge de rédiger la nouvelle Constitution du pays. Les résultats de la première étape sont déjà un indicateur de la coloration politique de la future assemblée avec la domination du parti Liberté et Justice des Frères musulmans, suivi du parti salafiste El Nour. Quant aux forces dites « libérales » ou « civiles », elles arrivent bien après, même si le Bloc égyptien, regroupé autour du parti Les Égyptiens libres du milliardaire Naguib Sawiris, a obtenu un résultat honorable. Enfin, les candidats dits « des jeunes de la révolution » ont eu des résultats insignifiants1. Les jeunes initiateurs de la révolution ont donc perdu les élections, et la future Assemblée du peuple aura une coloration largement islamiste, alors même que le soulèvement populaire du 25 janvier 2011 ne comportait aucune charge religieuse.
C’est à cette intrigue que s’intéresse le présent article. Son argument principal pose la nécessité de distinguer l’acte révolutionnaire de l’acte électoral. Ils n’ont ni la même temporalité, ni les mêmes acteurs, ni les mêmes enjeux. Il convient également de rajouter le rôle
joué par la direction de l’armée dans cette période transitoire marquée par une tentative de restauration autoritaire, qui se révèle notamment autour du débat sur la « civilité » de l’État. La légitimité de la révolution du 25 janvier 2011 renvoie à la légitimité de la révolution de 1952, base du régime défunt de Hosni Moubarak comme du Conseil supérieur des forces de l’armée (CSFA). La lecture des résultats électoraux doit également intégrer les significations sociales et politiques de l’élection de ce personnage particulier en Égypte qu’est le député et également la reformulation en cours du clientélisme électoral. La remise en cause du parti de l’État, le PND, et du clientélisme électoral public a renforcé l’importance du clientélisme électoral privé, celui des Frères musulmans, des salafistes et également des « hommes d’affaires ». Cette signification du vote ne signifie pourtant pas qu’il est totalement dénué de significations politiques. En Égypte, comme dans toutes les sociétés du monde, clientélisme et politique se conjuguent et ne sont pas contradictoires.