Société civile contre mondialisation libérale : un faux clivage ?
Réponses de libéraux nuancés à six critiques clés de la mondialisation
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Nous opposerons ici l’opinion du courant alter-mondialiste partisan d’une gouvernance démocratique fortement opposée au mode de régulation actuellement proposé par les institutions de Bretton Woods (Gus Massiah, CGT, Bianco et alter mondialiste de la Fondation Jean Jaurès …) aux positions défendues, non par les défenseurs du libéralisme absolu, mais par un courant qui nuance cette opposition. Les tenants de ce courant (Françoise Nicols de l’IFRI ou M de Bernard du GERM) mettent en valeur les atouts et progrès de ces institutions et ne sont pas opposés à une participation régulée de la société civile.
Pour ce faire, nous confronterons aux mêmes questions clés ces deux courants dont les divergences éclairent le débat sur le lien entre société civile et gouvernance économique.
• Première critique : les institutions de Bretton Woods, la Banque mondiale, le FMI et les autres organisations de régulation économique internationale sont anti-démocratiques et ne servent que les intérêts des plus riches – voire uniquement ceux des Etats-Unis (ATTAC, CGT).
Réponse : Il faut tout d’abord revenir sur une interprétation souvent trop étroite du principe démocratique qui le réduit à une personne = une voix ou un pays = une voix (M. De Bernard). Le principe démocratique se mesure surtout en termes de procédures et de résultats. Accorder un poids plus important à une personne ou une entité selon ses capacités relève alors d’une autre interprétation, où l’équité prend le pas sur l’égalité. Le postulat « un pays une voix » est issu d’une approche extrêmement occidentale.
Au regard du partage du pouvoir de décision au sein de la Banque mondiale (le plus grand contributeur est le principal actionnaire – poids en matière de décision), la Banque Mondiale n’est pas du tout démocratique. Il y a cependant une logique à cela : le poids économique détermine à la fois les contributions des états et leur nombre de voix. Imaginons cela en termes d’hommes envoyés en guerre… ne serait-il pas normal de donner plus de voix au pays qui sacrifie le plus d’hommes ?
De plus, en étant pragmatique, on peut prévoir que la recherche d’une procédure plus démocratique risque de faire fuir les principaux contributeurs (en l’occurrence les pays occidentaux). On se retrouverait alors face à des institutions incapables d’agir, faute de moyens. Les Etats gardent donc encore une très grande puissance dans ce mécanisme. La situation est radicalement différente à l‘OMC, où règne un certain principe démocratique. Là, un pays=une voix, mais la prise de décision se fait par consensus et non a l’unanimité.
Il y a donc une différence certaine de définition des priorités entre ces institutions de régulation économique et l’ONU par exemple. Si les premières penchent vers un souci d’efficacité, les déclarer antidémocratique est caricatural. Du point de vue des résultats, une démocratie stricte n’est pas toujours le meilleur choix, surtout à long terme. Un système démocratique s’inscrit dans le court terme puisque chaque nouvelle élection est une remise en cause. C’est peu viable à long terme et ces institutions recherchent la pérennité ainsi qu’une cohérence dans les logiques d’action.
• Seconde critique : Les mesures libérales de ces institutions ont des effets néfastes sur les pays du Sud : elles les appauvrissent en les exploitant au profit des investisseurs étrangers. Ces politiques ne font que favoriser les bailleurs de fonds.
Réponse : Il faut tout d’abord se souvenir que la division Nord / Sud dans les institutions de Bretton Woods est récente. Si chaque membre donne et contribue financièrement (certes à différents niveaux), tous au départ (les PED tout comme les pays européens) empruntaient des fonds. Aujourd’hui, de fait, ce ne sont plus que les PED qui font appel aux ressources du fond, créant une nouvelle dichotomie (Mme Françoise Nicolas). Les prêts du FMI ou de la Banque Mondiale constituent une aide précieuse en cas de manque de fonds. Reste leur statut de banques, et leur souci de rentabilité. Cela ne signifie pas forcément qu’ils ne génèrent pas d’aide ou d’efficacité sur le terrain. En contre exemple, on peut affirmer que les dons ne sont pas toujours le meilleur choix dans l’aide en PED : ils répondent certes à une crise humanitaire mais leurs impacts positifs sont moindres. Le système de prêt permet d’aider un plus grand nombre de pays, tout en impliquant davantage les PEFD, vue l’exigence de résultats (P. Jacquet).
• Troisième critique : Ces mesures sont uniformes et ne prennent jamais en compte les spécificités locales. Pour preuve, il suffit de regarder la crise asiatique et les conséquences dramatiques des politiques d’ajustement structurel.
Réponse : Là encore, la critique semble exagérée. L’affirmation a peut-être été vraie au début de la crise asiatique, les premiers mois (F.Nicolas), mais il faut distinguer deux choses différentes : l’existence de conditionnalités et le contenu de celles-ci. On ne peut pas rationnellement remettre en cause l’existence de conditionnalités et basculer dans l’extrême. Il est normal et logique que les bailleurs de fonds s’assurent des meilleures conditions pour le remboursement de la somme empruntée - c’est le principe de toute coopérative, comme pour une tontine africaine. Il ne s’agit pas de leur intérêt propre, mais d’assurer la survie du système afin de pouvoir continuer à prêter à ceux qui en ont besoin. Ce sont les règles du jeu. On peut par contre parler du contenu de ces conditionnalités. Elles ont certes été mal adaptées au début de la crise, mais le FMI a su faire son mea culpa et tirer les leçons de ses erreurs en les faisant évoluer.
De « politiques d’ajustement structurel » à « politiques de réduction de la pauvreté » , il n’y a pas seulement un changement de vocabulaire mais aussi un véritable changement de préoccupation en faveur du bien être local. Tant la Banque Mondiale que le FMI ont fait des efforts en ce sens : il y a une réelle conscience de l’importance d’une stabilité régionale et d’un développement humain pour instaurer une croissance durable et profitable à tous. Ne soyons pas aveugles aux progrès : de nouvelles impulsions voient le jour, comme celle du pacte mondial initiés par tous les acteurs privés en faveur d’un développement durable.
• Quatrième critique : La société civile est complètement ignorée et n’est pas prise en compte.
Réponse : La gouvernance économique n’a pas pour prétention de régler aussi le politique et le social, ce sont là les mandats de l’ONU et des forums (Nicolas). De plus, il est erroné de dire qu’il n’y a pas de participation, même si celle-ci est restreinte et mériterait peut-être d’être élargie. Il faut reconnaître que les institutions de Bretton Woods font de plus en plus d’efforts pour intégrer les populations locales et les faire participer davantage aux réformes économiques. Une meilleure assimilation locale des réformes est sans doute le meilleur garant de leur efficacité à long terme. Par ailleurs, le but premier des organisations de Bretton Woods n’est pas de gérer des urgences humanitaires et elles ne l‘ont jamais prétendu.
• Cinquième critique : Il faut créer un véritable gouvernement mondial démocratique et transparent. La gouvernance mondiale doit être sociale et prendre en compte les pays en développement au même titre que les pays du Nord.
Réponse : Un gouvernement mondial est une complète utopie (M. de Bernard, Mme Nicolas, Mme Gastaut, M Moreau Desfarges), et même s’il voyait le jour, il n’aurait aucun moyen d’action car il n’y a pas de possibilité de créer un impôt ni une armée mondiale. Cette hypothèse n’est pas viable.
• Sixième critique : Concrètement, cela passe par un nouveau contrat social mondial ou par la création d’un conseil de sécurité économique et sociale qui doit avoir le soutien de l’ONU (Bianco et Severino).C’est ainsi que naîtra une véritable gouvernance mondiale.
Réponse : Il s’agit également d’une solution utopiste inenvisageable. Elle sous-estime le rôle des Etats et leur volonté de sauvegarder un minimum de souveraineté nationale. La création d’un conseil de sécurité économique et sociale est aussi une mesure irréaliste qui demande à la fois une perte de souveraineté trop grande et des moyens d’action inatteignables.
Bilan :
Utopisme contre pragmatisme, peut-on aussi caricaturalement synthétiser ce débat ? Il y a là sans doute un fond de vérité, mais également des nuances à apporter des deux côtés. Mises à part quelques initiatives timides (mais qui progressent) du côté des programmes de lutte contre la pauvreté de La Banque ou du FMI, il n’y a pas encore, à ma connaissance, de véritable proposition alternative pour réduire le faux clivage entre société civile et institutions de gouvernance économique. Ces initiatives devraient être encouragées, cadrées et non simplement critiquées par la société civile et le mouvement contestataire qui la représente en bonne partie.