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Análisis

Les défis et les perspectives de la gouvernance

Le défi de la gouvernance est de permettre le respect des diversités tout en favorisant la multiplication et le renforcement des interdépendances

Por Pierre Calame

noviembre 1998

La gouvernance désigne moins un état donné des interdépendances mondiales que les régulations que ces interdépendances exigent. Le défi de la gouvernance est ainsi de permettre le respect des diversités tout en favorisant la multiplication et le renforcement des interdépendances. Cela appelle une transformation de l’action publique et de la culture politique et administrative pouvant mener à un partenariat équitable et fécond entre l’Etat et la société dont il fait partie. L’Etat doit pour cela contribuer à donner un sens au monde, à le rendre intelligible par la construction de vrais dialogues et la mise en Ĺ“uvre de projets impliquant une pluralité d’acteurs: la diversité des composantes sociales s’articule ainsi à l’unité d’un projet commun. Cela suppose de changer la culture publique (moins de procédures, plus de processus fédérateurs), de décloisonner les territoires et les milieux, et de prendre en compte les différentes échelles de gouvernance. Ici s’affirme le principe de subsidiarité active, qui part d’une responsabilité partagée pour construire, depuis le local, des réseaux d’échanges mondiaux.

Contenido

Les défis et les perspectives de la gouvernance

1. La construction de nouvelles formes de gouvernance est le défi prioritaire du prochain siècle

2. Les formes traditionnelles de gouvernance et d’exercice de la démocratie sont en cause un peu partout dans le monde et c’est l’action publique étatique qui est la plus directement en crise, comme l’atteste partout le mouvement simultané de décentralisation et de construction de régions du monde. Cette crise touche à la fois les modes d’action et les échelles auxquelles s’exerce l’action publique.

3. A tous les niveaux, le défi de la gouvernance est de permettre à la fois plus de solidarité et d’interdépendance, plus d’autonomie et de diversité. Les mécanismes par lesquels on peut y parvenir constituent le « méccano de la gouvernance » .

4. Les politiques de transformation de l’action publique d’Etat ont, en général, échoué pour deux raisons

  • elles ne sont pas conduites dans la durée alors qu’il s’agit d’un changement culturel ;

  • elles tendent à renforcer la dualité entre sens et action, entre responsabilité politique et responsabilité administrative, aggravant de ce fait le mal au lieu de le guérir

5. Face à un déficit de sens, elles ont cru possible de répondre par une modernisation technique.

6. Il faut construire de nouvelles formes de relations entre l’action publique et la société, partant de l’idée que l’Etat fait partie de la société et ne se borne pas à exercer son pouvoir sur elle. C’est à cette condition que les pouvoirs publics pourront véritablement devenir, à tous les niveaux, partenaires d’autres acteurs de la société.

7. Les trois modalités d’une telle évolution en faveur du partenariat sont

  • Considérer que les connaissances acquises par les pouvoirs publics, dans le cadre de leur action, contribue à une « intelligibilité du monde » qui doit être mise au service de l’ensemble de la société;

  • Construire les conditions d’un dialogue vrai avec les autres acteurs sans privilégier le face à face avec les notables ;

  • Apprendre à « entrer en projet » avec ces autres acteurs et, pour cela, préférer les stratégies aux schémas, distinguer la véritable entrée en projet des faux partenariats que constituent les coordinations obligées, dépasser la simple confrontation d’intérêts divergents au profit de la construction de représentations et de perspectives communes.

8. L’action publique actuelle est menée principalement à travers l’édiction de règles et de normes, c’est à dire d’obligation de moyens. C’est une mauvaise manière de concilier unité et diversité. Il faut préférer l’énoncé d’obligation de résultats.

9. Plus un problème est complexe, plus il est important de concevoir les conditions démocratiques d’élaboration de solutions satisfaisantes, moins les mécanismes classiques de choix entre solutions alternatives sont importantes : il faut passer d’une démocratie de procédures à une démocratie de processus.

10. Dans un contexte mondialisé, l’idée d’autonomie voire d’autarcie de territoires locaux perd tout son sens. Par contre, face aux crises sociales, économiques, écologiques et politiques, la gestion du territoire prend une nouvelle importance: le territoire est la brique de base de la gouvernance de demain.

11. Traditionnellement, la réflexion sur la gouvernance privilégiait l’exercice de celle-ci sur un territoire donné. Aujourd’hui, aucun des problèmes importants de notre société ne peut être traité à une seule échelle. C’est l’articulation entre niveaux de gouvernance qui devient la question centrale. Le principe de subsidiarité active est le moyen concret de gérer cette articulation des échelles : les exigences d’unité s’y expriment à chaque niveau par des obligations de résultat formulées à l’égard des autres niveaux.

12. L’application du principe de subsidiarité active a des conséquences considérables sur la pratique de la gouvernance

  • le partage des compétences, tel qu’il a été conçu dans les lois françaises de décentralisation, doit être remplacé par l’idée de responsabilité partagée. Dans le domaine de la lutte contre l’exclusion, par exemple cette responsabilité partagée peut être concrétisée par les « Pactes locaux » pour l’emploi et la cohésion sociale ;

  • Pour les fonctionnaires, le devoir de pertinence deviendra plus important que le devoir d’obéissance ;

  • Pour les différents acteurs de la société, la construction de réseaux d’échanges faisant circuler l’expérience et permettant à chacun d’en tirer ses propres leçons est indispensable à la mise en oeuvre du principe de subsidiarité active.

  • Ce principe induit également une autre vision des relations entre le local et le global.