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Les trois voies du « retour du religieux »

Voici déjà plusieurs années, le sociologue américain Peter Berger suggérait, en renversant la théorie de Max Weber sur la modernité comme « désenchantement du monde », que le monde sécularisé allait être « réenchanté » par la religion. Sa thèse venait s’ajouter à une longue série d’annonces du « retour du religieux » recensées à travers le monde depuis les années 1970. Avec le recul, on s’aperçoit que ce « retour » n’est pas aussi massif que les sociologues l’avaient prédit, et surtout qu’il prend des voies diverses : la voie classique, illustrée ici par les cas italien et malaisien, est celle d’un affrontement entre valeurs religieuses et valeurs de la modernité. La deuxième voie, plus surprenante et moins débattue que la première, fait de la religion non une contestation mais un point d’accès à la modernité : au Brésil, avec la montée des Églises protestantes, certains intellectuels découvrent aujourd’hui l’utilité sociale de la foi ; en agissant directement sur les valeurs individuelles, le protestantisme serait en passe de « moderniser » les couches populaires, et de transformer la société dans son ensemble. Enfin, la troisième voie, parfaitement visible dans le cas russe analysé par Agnieszka Moniak-Azzopardi, est celle où la religion devient un marqueur culturel, identitaire ou ethnique. Il s’agit moins ici de religiosité vécue subjectivement que d’une ressource symbolique utilisée par les hommes politiques (mais aussi les leaders religieux eux-mêmes…). Ces différentes formes du retour de la religion dans la cité dessinent un paysage complexe, où les interactions entre religion et politique prennent des formes très diverses et parfois contradictoires. Suivre de près et décrypter ces interactions apparaît aujourd’hui comme une tâche essentielle.