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Note La gouvernance démocratique pour le développement durable

Note rédigée pour être discutée lors de la réunion du bureau de l’IRG, le 11/04/2016

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Note

La gouvernance démocratique pour le développement durable

 

 

 

I- La gouvernance comme enjeu du développement durable

• Le modèle de développement économique néolibéral et productiviste actuel, fondé sur le paradigme de la croissance, est engagé dans de multiples impasses. Pourtant, malgré l’existence d’alternatives partielles (qui demeurent dispersées et cloisonnées), ce modèle perdure et aucune réorientation globale n’est en vue.

• La question de la gouvernance, car elle est essentielle pour l’orientation et la mise en œuvre des politiques, est au cœur des difficultés à sortir du système actuel et à aller vers un modèle de développement durable. “Sustainable development is above all a governance challenge. It is about reforming institutions and social practices to ensure a more environmentally sound and equitable development trajectory” (Meadowcroft, 2009).

• Le développement durable est ici conçu comme une ambition : “Sustainable development is about the redirection of development. It is not about an identifiable end state. Sustainable development is a never-ending process of progressive social change. It involves multiple transitions. Each transition is made up of processes of co-evolution involving changes in needs, wants and the institutions that coordinate choices” (Kemp and al., 2005).

II- Des modes de gouvernance qui freinent le développement durable

• En 1987, le rapport Brundtland relevait déjà la question des « lacunes institutionnelles » pour mener le développement durable. Il soulignait que « la plupart des institutions chargées de relever ces défis sont indépendantes et morcelées; et leur processus de prise de décision est « fermé », mais aussi « l’incapacité de nos gouvernements à rendre responsables de leurs actes les organismes dont les politiques détériorent l’environnement et à les obliger à prévenir cette dégradation ».

• Il existe trop souvent un fossé entre la définition formelle des politiques publiques (sous forme de loi/règlement/décret) et leur mise en œuvre concrète sur le terrain. Les nombreuses dispositions juridiques prises en faveur du développement durable, que ce soit aux niveaux international, national ou local, ont montré leurs limites pour infléchir les politiques dans le sens de la transition écologique et sociale.

• Face à l’urgence et à la complexité des défis à relever, l’efficacité du système actuel de gouvernance est aujourd’hui questionnée notamment en raison de certaines limites :

o La démocratie représentative et le temps court des mandats électoraux se trouvent en décalage avec la temporalité de long terme dans laquelle se posent les enjeux du développement durable. Le système représentatif ne permet pas en outre de suffisamment prendre en compte les savoirs et les attentes des acteurs de la société ; or, la réponse aux défis du développement durable passe par une collaboration des gouvernements avec les acteurs non-étatique pour co-construire des politiques mieux informées et plus adaptées à la réalité des défis.

o La fragmentation et le cloisonnement des acteurs, des secteurs et des territoires de l’action publique ne permettent pas de répondre aux défis globaux du développement durable qui nécessitent de dépasser un fonctionnement en silos et de relier les échelles et les secteurs.

III- La gouvernance démocratique pour le développement durable

• Certains auteurs ont développé le concept de « gouvernance pour le développement durable » afin de définir des modalités de gouvernance qui rendent les politiques publiques effectives et résolument orientées dans la mise en œuvre du développement humain durable. “Governance for sustainable development is taken to imply a deliberate effort to adjust governance structures and processes in order to promote a more sustainable development trajectory” (Meadowcroft 2009).

• Cette approche, fondamentalement politique, peut être caractérisée par plusieurs dimensions qui n’en font pas pour autant un modèle « clé en main » de gouvernance. L’opérationnalisation technique de cette approche se construit en effet en fonction des enjeux spécifiques de chaque contexte.

i. Une approche pluri-acteurs

• La gouvernance démocratique pour le développement durable repose sur l’implication de tous les types d’acteurs. Cette recherche de l’inclusivité vise notamment à répondre à l’enjeu de l’intégration de l’action publique et à dépasser la fragmentation entre les secteurs et entre les territoires. Il s’agit de reconfigurer les frontières de l’action publique pour les rendre adéquate avec la nature globale et multidimensionnelle du développement durable.

• Les institutions publiques ont ici un rôle moteur pour favoriser la cohésion de l’action publique. Elles disposent d’une légitimité et de moyens qui leur permettent de définir les cadres de régulation et d’orienter ainsi les pratiques et les politiques dans le sens du développement durable.

ii. Une approche démocratique

• Contrairement à certaines conceptions qui défendent une incompatibilité entre démocratie et prise en compte des enjeux environnementaux, la gouvernance démocratique est ici considérée comme un moyen pour réaliser le développement durable (une idée inscrite par exemple dans la Charte de la Terre). La prise en compte des citoyens dans la co-construction des objectifs d’une politique de développement durable est en effet fondamentale pour garantir que cette politique corresponde aux valeurs et aux pratiques existantes au sein de la société, et donc qu’elle puisse être mise en œuvre.

• Cette approche repose sur des mécanismes qui favorisent la prise en compte élargie des demandes des organisations de la société civile et des citoyens, notamment des plus vulnérables.

• Depuis le Sommet de la Terre de Rio notamment, de nombreuses initiatives de gouvernance plus participative se sont développées en ce sens. La mise en place de dispositifs de concertation a permis par exemple une implication plus étendue des différents types d’acteurs de l’action publique (institutions publiques, organisations de la société civile, entreprises, citoyens), dont certains étaient auparavant exclus ou peu représentés dans les processus de décision.

• Cependant, l’impact de ces dispositifs plus participatifs sur la transformation du contenu des politiques publiques demeure insuffisant. Ces formes de gouvernance sont en outre souvent critiquées pour jouer un rôle avant tout symbolique ou marginal, dans le cadre de processus de décision déjà bien établis en amont.

• Un enjeu de la gouvernance démocratique pour le développement durable est donc d’approfondir cette dimension démocratique à travers des mécanismes qui renforcent la responsabilité de l’action publique au regard des objectifs de la transition écologique et sociale.

• Ce changement implique plus globalement de transformer les relations de pouvoir pour réorienter l’action publique vers une autre trajectoire de développement. L’objectif est de renforcer les acteurs porteurs d’une vision alternative et de faire évoluer les acteurs dominants. D’où l’importance de l’activisme politique, de la construction de coalitions pour bousculer les intérêts établis et faire bouger les rapports de force au profit du développement durable.

iii. Une approche expérimentale

• Le développement durable ne doit pas être considéré comme un projet fini. C’est au contraire un processus continu et sans fin de changements et de multiples transitions sur un nouveau chemin de développement.

• La gouvernance démocratique pour le développement durable est donc profondément inscrite dans une perspective de changement. L’enjeu est ici de développer une gouvernance qui favorise l’innovation. Ce qui implique une nouvelle approche dans la manière de conduire l’action publique : sortir des stratégies planificatrices, adopter une approche évolutive, modeste, d’expérimentation, tirée par une vision à long terme. Cette logique de policy design permet de mieux prendre en compte la complexité des processus et de mieux traduire les visions en politiques concrètes.

• Cette approche expérimentale favorise la gestion de la complexité et de l’incertitude qui caractérisent le développement durable. Celui-ci ne peut en effet être mise en œuvre à partir d’un plan prédéfini a priori. Il constitue au contraire la vision, porteuse de sens, autour de laquelle les différents acteurs vont inventer et co-construire des politiques adaptées et réellement mises en œuvre.

• Cette approche nécessite la mise en place de processus réflexifs qui permettent de prendre du recul, de tirer des leçons pour nourrir un apprentissage collectif et d’ajuster l’action publique au fil de sa mise en œuvre.

IV- L’IRG et la gouvernance démocratique pour le développement durable

L’investissement sur la thématique de la gouvernance démocratique pour le développement durable a plusieurs implications opérationnelles pour le travail de l’IRG, notamment :

• La poursuite de son travail sur la gouvernance démocratique, réorienté sur l’objectif du développement durable.

o La continuité de son approche : dans une perspective interdisciplinaire, l’IRG met en avant les dimensions pluri-acteurs et multi-échelle de l’action publique. Il apporte une attention particulière au croisement de regard avec les expériences menées à l’international en matière de gouvernance démocratique pour la Transition. Il n’entend pas se positionner dans une logique prescriptive mais, au contraire, mettre en avant la complexité des enjeux de l’action publique.

o L’IRG défend néanmoins une conception de la gouvernance fondée sur un double choix éthique : sa dimension démocratique et son orientation en faveur du développement durable.

• La poursuite et l’approfondissement de son travail sur les instruments concrets de la gouvernance démocratique et sur la question de leur efficacité opérationnelle.

o L’identification et l’analyse des innovations sociales et institutionnelles qui contraignent, ou font évoluer, l’action publique dans le sens du développement humain durable.

o L’analyse des dynamiques institutionnelles et de pouvoir qui prévalent dans la mise en œuvre des politiques et l’identification des leviers politiques sur lesquels s’appuyer pour faire évoluer l’action publique.

• L’inscription dans des réflexions et des pratiques innovantes en matière de gouvernance pour la transition.

o Contribuer à la réflexion sur la question de la gouvernance qui est insuffisamment abordée dans la littérature sur la transition. Celle-ci est essentiellement focalisée sur des dimensions plus techniques et a négligé l’analyse des enjeux politiques et institutionnels qui conditionnent largement le changement vers un nouveau modèle de développement.

o Participer à des initiatives menées dans le cadre d’approches innovantes de l’action publique telles que le design des politiques publiques ou plus spécifiquement le Transition management, développé notamment au Pays-Bas et ainsi défini : Transition management is a governance-strategy that tries to combine long-term envisioning, multi-actor interaction and short-term actions based on innovation. Transition management breaks with the old plan-and-implement model aimed at achieving particular outcomes. It is based on a different, more process-oriented philosophy.