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La co-responsabilité du contrôle de l’action publique
2013Table of content
Alors que l’Etat n’a plus le monopole de l’action publique, la gouvernance consiste à organiser le dialogue entre les différentes catégories d’acteurs désormais impliquées dans l’action publique (société civile, institutions publiques, secteur privé, citoyens). Dans le cadre de son programme « Co-production de l’action publique », l’IRG s’intéresse à ces processus d’interaction entre les institutions publiques et les acteurs non étatiques (organisations sociales, acteurs économiques etc.). Pour approfondir sa réflexion sur les effets de ces espaces de dialogue multi-acteurs, il souhaite plus particulièrement s’intéresser aux processus qui permettent de renforcer responsabilisation (1)] de tous les acteurs de l’action publique.
Le contrôle de l’action publique est un des moyens de cette responsabilisation. A travers ses différentes modalités, il permet de renforcer l’efficacité et l’impact de l’action publique, notamment en contribuant à réduire le décalage, très souvent constaté, entre les objectifs affichés des politiques publiques et les résultats de leur mise en œuvre. Plus globalement, il est un facteur important de reconnexion entre les populations et les institutions publiques et donc de la légitimation de ces dernières.
Le contrôle de l’action publique et son évolution
Le contrôle de l’action publique désigne l’ensemble des pratiques, qu’elles soient collectives ou non, sectorielles ou générales, visant à assurer la responsabilisation des acteurs impliqués dans la gestion des affaires publiques, notamment à travers une plus grande transparence. L’activité de contrôle cherche à informer, parfois alerter mais aussi à influencer ou à réorienter l’action publique. L’objectif de ce contrôle est d’aboutir à une action publique plus efficace et plus légitime, c’est-à-dire, en adéquation avec le cadre légal mais aussi avec les demandes des populations.
Alors que le contrôle était essentiellement effectué par des institutions publiques indépendantes sur des institutions étatiques, il tend dorénavant à être exercé par une diversité d’acteurs et porter plus largement sur la mise en œuvre d’une action publique.
Elargissement des acteurs qui exercent le contrôle de l’action publique
Le contrôle de l’action publique est traditionnellement et généralement exercé, de manière « horizontale », par des institutions publiques. C’est notamment le cas du contrôle parlementaire, du contrôle judiciaire, du contrôle des finances publiques et plus généralement des différentes formes de contrôle administratif.
Ces dernières décennies, une nouvelle forme de contrôle de l’action publique, « verticale », s’est fortement développée : le « contrôle citoyen », parfois aussi dénommé « contrôle social ». Il s’agit d’une pratique de participation active qui permet à des citoyens, des organisations sociales, ou des medias, de contrôler le déroulement des affaires publiques en demandant des comptes (2) aux décideurs publics sur les résultats de leurs actions. A travers une large gamme d’actions, l’objectif est de veiller à ce que l’utilisation des ressources publiques (humaines et financières) s’inscrive dans des politiques qui répondent aux besoins et aux aspirations des populations.
L’émergence et la généralisation de ces nouvelles pratiques ont largement été facilitées par des agences internationales de coopération (PNUD, Banque mondiale notamment) qui ont mis en avant le concept de « responsabilisation sociale » (social accountability) afin de renforcer la demande en faveur d’une gouvernance plus démocratique. Certaines conventions internationales (comme la convention d’Aarhus) tendent également à favoriser une forte implication des acteurs non-étatiques dans le contrôle des politiques publiques. Dans le même temps, au niveau national, certaines législations ouvraient un espace favorable aux initiatives de contrôle citoyen (comme la constitution de 1991 en Colombie par exemple ; ou les lois relatives à l’accès à l’information publique dans de nombreux pays).
De multiples dispositifs et modalités de contrôle citoyen ont ainsi vu le jour dans des secteurs très variés et à différents échelons territoriaux de l’action publique. Le contrôle citoyen est alors devenu une part intégrante de l’activité de nombreuses organisations de la société civile. Celles-ci, structurées en réseaux aux niveaux national et international, ont joué un rôle crucial dans la multiplication de ces dispositifs, en revendiquant un rôle à part entière dans le contrôle de l’action publique.
Le contrôle de l’action publique s’exerce donc désormais par un spectre élargi d’acteurs, publics et privés. Cette nouvelle dimension multi-acteurs du contrôle se manifeste de façon différente selon les contextes : d’un contrôle exercé en parallèle par les différents types d’acteurs (organismes publics, organisations de la société civile, citoyens) à, plus rarement, un contrôle conjoint les impliquant ensemble.
Passage du contrôle de l’institution publique au contrôle de l’action publique
La multiplication des acteurs de la « gouvernance » et sa complexification ont fait évoluer les enjeux de la responsabilité de l’action publique. Dans le contexte actuel, certains services publics sont, par exemple, mis en œuvre par des acteurs privés, que ce soient des entreprises ou des organisations de la société civile. Dans cette logique, le contrôle de l’action publique implique désormais de demander des comptes à l’ensemble des acteurs qui y sont impliqués et non plus seulement à un acteur en particulier. Les acteurs étatiques ne peuvent donc théoriquement plus être considérés comme les seuls responsables de la mise en œuvre des politiques publiques. Ceci implique une évolution de la forme et des modalités du contrôle qui prévalaient jusqu’à présent.
Il s’agit désormais de passer du contrôle d’une institution publique au contrôle d’une action publique menée dans un contexte particulier. Les modalités du contrôle varieront alors en fonction de la nature de l’action publique en jeu (politique publique de l’eau, construction d’un pont ou budget général d’une commune), du niveau territorial et des acteurs impliqués dans sa mise en œuvre.
Un objet d’analyse privilégié pour l’IRG : Le contrôle de l’action publique dans un contexte multi-acteurs et de co-responsabilité
L’IRG a entrepris d’étudier ce nouveau contexte multi-acteurs du contrôle de l’action publique et notamment les interactions qui existent, ou non, entre ces différents acteurs. Il suit et analyse par exemple la mise en place d’exercices de contrôle social dans plusieurs municipalités de Colombie. Plus globalement, l’IRG souhaite développer ses activités autour des questions suivantes :
• Objet du contrôle. En quoi la nature du contrôle diffère–t-elle selon le type d’action publique (global, sectoriel) et selon son niveau (local, national) ? Dans quelle mesure, les activités de contrôle se développent–elles aussi autour de la responsabilité des entreprises et des organisations de la société civile, au-delà des seules institutions publiques? Plus spécifiquement, la pluralité des acteurs du contrôle fait-elle évoluer le champ du contrôle des politiques publiques, notamment en les prenant en compte dans leur globalité et dans toute leur temporalité (de l’élaboration à l’évaluation des résultats) ?
• Structuration du contrôle multi-acteurs. Comment se structurent et se transforment les interactions entre acteurs privés et publics dans le cadre des activités de contrôle ? Quels rapports de force s’établissent entre les différents acteurs du contrôle ? Dans quelle mesure l’implication de nouveaux acteurs dans le contrôle de l’action publique peut-elle compléter, ou faire évoluer, les dispositifs de contrôle étatiques déjà existants? Comment se créent, ou non, des synergies entre les formes « traditionnelles » de contrôle (parlementaire, judiciaire) et les nouvelles pratiques de contrôle citoyen ? Dans quelle mesure de nouvelles formes hybrides de contrôle naissent de ces interactions ?
• Modalités du contrôle multi-acteurs. En quoi les modalités du contrôle diffèrent-elles en fonction de l’acteur (institution publique, organisation sociale) qui effectue le contrôle, mais aussi en fonction de l’échelon territorial du contrôle (local, régional, national) ? Comment les outils du contrôle évoluent-ils dans le contexte multi-acteurs ? Quelles ressources sont-elles affectées au contrôle ? Plus particulièrement, quel est le financement des exercices de contrôle ? Comment l’indépendance de l’exercice de contrôle et donc de ses acteurs est-elle assurée ? Dans quelle mesure l’usage des nouvelles technologies et des médias sociaux transforme-t-il les modalités du contrôle ?
• Impact et résultats du contrôle multi-acteurs. Dans quelle mesure ces nouvelles formes de contrôle interrogent-elles et font-elles évoluer le rôle et le fonctionnement des institutions étatiques, et notamment les relations entre les différents acteurs de l’administration qui peuvent être plus ou moins réceptifs à l’exercice de contrôle? Comment transforment-elles également les modes d’action des autres acteurs, notamment de la société civile et du secteur privé ? Comment les dénonciations qui peuvent résulter des opérations de contrôle affectent-elles les processus de concertation multi-acteurs existants ? Dans quelle mesure l’inscription du contrôle dans la durée a-t-il un impact sur les résultats des politiques ? Plus globalement, quels sont les effets du contrôle multi-acteurs sur le contenu, la mise en œuvre et in fine les résultats des politiques publiques ? Dans quelle mesure participe-t-il à la légitimation de l’action publique ?
• Contexte du contrôle. Les questions ci-dessus sont étroitement dépendantes du contexte dans lequel le contrôle est exercé. Une attention particulière doit être portée à l’ouverture des régimes politiques et des institutions publiques vis-à-vis des exercices de contrôle, qu’ils soient menés par des organes publics ou des organisations de la société civile. Dans quelle mesure l’ouverture des données publiques favorise-t-elle le contrôle ? Comment optimiser le contrôle dans les contextes particuliers des Etats en situation de fragilité où la capacité des différents acteurs est très faible ?
Offre d’activités possibles:
• Constitution d’espaces de débat et de travail multi-acteurs. Organisation de rencontres et d’échanges d’expériences entre différents praticiens du contrôle (issus des institutions publiques, des organisations de la société civile), et des chercheurs et experts dans le domaine.
• Réalisation d’études :
o sur une expérience ou un processus spécifique de contrôle
o sur un aspect particulier du contrôle (par ex, la définition des indicateurs du contrôle)
o comparatives sur des expériences de contrôle menées dans différentes régions du monde
• Accompagnement de processus de contrôle:
o menés en collectif ou par un acteur particulier (public ou organisation sociale), dans un secteur ou/et un territoire donnés
o activité de systématisation, capitalisation/évaluation visant à tirer des leçons d’un exercice de contrôle.
Notes
(1) ]La responsabilisation renvoie ici au principe et aux mécanismes qui requièrent d’un acteur de l’action publique qu’il rende des comptes (au sens large) sur l’action qu’il a mis en œuvre auprès de ceux qui l’on mandaté pour agir. Elle traduit le renforcement de la « responsabilité » des acteurs de l’action publique, concept clé de la gouvernance démocratique qui peut prendre des formes très différentes dans ses modalités d’application.
(1) Cette demande de comptes dépasse ici la simple reddition des comptes, au sens essentiellement comptable, pour concerner la totalité de la politique publique mise en œuvre.